«…et le numérique ne le permet pas», précise Aude Denizot, membre du collectif Éducation Numérique Raisonnée, professeure en CE2/CM1. «On [omet] souvent la mémoire kinesthésique, mais les enfants qui n’expérimentent pas physiquement retiennent beaucoup moins bien».
Dans un entretien avec Isabelle Alvaresse pour Télérama (25.02.2025), l’enseignante commente les résultats de la troisième édition du baromètre de la Fondation pour l’enfance concernant «L’impact des usages numériques sur le développement des jeunes enfants». «96% des enseignants constatent qu’il y a un lien entre le numérique et les difficultés de développement de l’enfant, et 93% des parents voient la même chose. Il y a donc un consensus là-dessus». «Tous les milieux sociaux sont en difficulté par rapport au numérique, et dans tous les milieux sociaux on voit une dégradation des connaissances et des compétences des enfants selon leur degré d’exposition».
Les enfants ne sont pas… des adultes!
Les conséquences psychoaffectives de l’usage du numérique ont été récemment très médiatisées, mais il a aussi des conséquences cognitives. Aude Denizot développe: «Chez les petits, on parle des trois mémoires. La mémoire visuelle, la mémoire auditive, et on oublie souvent la mémoire kinesthésique parce que nous, adultes, on en a moins besoin. Mais les enfants qui ne font pas avec leurs mains, qui ne tapent pas dans un ballon avec leurs pieds, qui n’expérimentent pas physiquement retiennent beaucoup moins bien».
«Il y a un énorme déficit d’attention et de mémoire de travail. On ne peut donc pas accéder aux compétences les plus difficiles, parce qu’on est incapable de tenir une attention longtemps. […] Même devant un contenu numérique éducatif, les élèves sont passifs. On a l’impression qu’ils sont attentifs parce qu’ils sont en quelque sorte hypnotisés par l’écran, mais ça ne les rend pas actifs pour autant». «Cela joue aussi sur la flexibilité cognitive. C’est-à-dire l’idée que quand on se trompe il faut changer d’idée, il faut se réadapter, etc. Ce qui est une attitude active.
La bonne nouvelle, c’est que le processus est réversible. L’enseignante confie: «comme si j’étais médecin, je prescris : je me suis retrouvée dans la posture de préconiser sur une feuille de papier des jeux de société, de la pâte à modeler, des puzzles, un dictionnaire ! Et au bout d’un mois, les parents reviennent me voir et me remercient. […] Et ce qui nous impressionne, ce à quoi on ne croyait pas, c’est que le plaisir du faire est tellement fort chez l’enfant que, passée la période du sevrage, qui dure trois-quatre semaines, il n’a plus tellement envie d’aller vers le numérique. Parce qu’il se rend bien compte qu’il va mieux, en fait. Et les parents le voient tout de suite».
Injonctions contradictoires
«Le pourcentage du numérique utilisé à l’école maternelle reste très important, alors que normalement c’est le temple de l’espace préservé où l’on manipule, où l’on joue, où il y a des interactions langagières». Aude Denizot précise: «bien sûr le numérique peut nous servir, et il y a des enfants à besoins spécifiques pour qui cela est indispensable. Néanmoins, il faut séparer l’enseignement du numérique, nécessaire (apprendre à se servir de tel ou tel outil, évoquer la protection des données, le cyberharcèlement…), et le reste des apprentissages».
«On dit aux parents que leur enfant ne doit pas être sur les écrans, que c’est un vrai danger, pour le récréatif. Et en même temps, s’ils veulent que leur enfant grandisse avec la bonne dose de connaissances, l’Éducation nationale prône le numérique. Et dans leur vie professionnelle, ils en ont tout le temps besoin…»
Comme le titre la journaliste, «le message n’est donc pas clair». «Ça perd les familles et que ça les culpabilise. On leur dit que, s’ils ont un problème en famille avec ça, c’est qu’ils ne savent pas gérer, parce que finalement ça dépend de l’usage qu’on en fait. Et que si l’on en fait un usage raisonnable sur des contenus intéressants, tout va bien. Or, on sait très bien que quand un outil est addictif, il est impossible d’en faire un usage raisonnable, qui plus est pour un enfant».
Nous retenons des propos de l’enseignante la conclusion que «l’Éducation nationale ne devrait pas considérer l’usage du numérique comme un prérequis de tout bon enseignement, alors qu’aujourd’hui les professeurs sont notés en fonction de ça». «En tant qu’outil professionnel, bien sûr, on s’en sert, parce que nous sommes des adultes formés et que notre cerveau a fini sa construction. Mais il y a une différence entre utiliser le numérique comme un outil d’adulte et en faire un vecteur [supposé] de transmission».
Consulter aussi sur notre site: Éduquer les mains, intuition et raison.
Lire l’article (sous condition) sur https://www.telerama.fr/enfants/le-message-n-est-pas-clair-on-dit-aux-parents-que-les-ecrans-sont-un-danger-pour-leur-enfant-mais-l-education-nationale-prone-le-numerique-7024307.php telerama.fr.
Photographie d’illustration: organicmom30 pour Pixabay.com
Commentaires récents