Si la médecine actuelle privilégie l’imagerie et les analyses chimiques, l’adaptation génétique à l’altitude crée une viscosité tangible lors des prises de sang, et le mal des montagnes provoque entre autres de l’essoufflement, des palpitations et des maux de tête.
Dans un article d’avril 2024, Camille Gaubert fait le point, pour Sciences et avenir, sur les surprenantes découvertes d’une mission française dans les Andes péruviennes.

 

Gros plan sur les marches en bois d'un chemin à travers un champ qui monte vers le haut de l'image. Sur les bordures gauche et droite de ce chemin, des petites piques en bois surmontées chacune d'un cœur rose suivent l'ascension, à un rythme régulier, comme des battements de cœur.

 

 

Des nombres étonnants

«50 000 personnes vivent à 5 300 mètres d’altitude à La Rinconada au Pérou […] malgré un taux d’oxygène réduit de moitié par rapport au niveau de la mer». «[Leur] sang […] est épaissi par une production très élevée de globules rouges, les cellules sanguines chargées du transport de l’oxygène. Là où le volume sanguin du tout-venant est composé à 40% de globules rouges, ce taux monte à […] 80 ou 85% à La Rinconada. […] Leur sang est si épais qu’il bouche les machines d’analyse et les scientifiques peinent à le prélever… “Si nous transfusions ce sang, nous ferions un AVC [accident vasculaire cérébral] en quelques minutes à quelques heures”, tant l’épaisseur du liquide boucherait nos vaisseaux sanguins», indique Samuel Vergès, directeur de recherche à l’INSERM et responsable du programme Expédition 5300.
«Pour compenser cette viscosité extrême, le volume sanguin des habitants de La Rinconada est très important, jusqu’à 10 litres, contre 4 à 6 en plaine! Cette grande quantité de sang très visqueux entraîne la dilatation des vaisseaux sanguins au maximum de leur capacité. “Dans les plaines, des résultats de ce type enverraient quelqu’un directement à l’hôpital”, relève Samuel Vergès».
«Les échographies cardiaques montrent ainsi dès l’enfance un cœur beaucoup plus épais à droite qu’à gauche, une caractéristique absente des habitants des plaines en bonne santé. “Cela témoigne d’un remodelage du cœur en réponse à une augmentation de pression dans l’artère pulmonaire, conséquence indirecte de l’altitude et du manque d’oxygène”, explique Stéphane Doutreleau, physiologiste, cardiologue et membre de l’Expédition 5 300.» Car «le cœur doit pomper plus fort».

Les limites de l’adaptabilité humaine

Certes, «des enfants y naissent, y sont scolarisés et y jouent au football, tandis que des adultes y font commerce et, surtout, exploitent les mines d’or à l’origine de l’attractivité de la ville». Mais «les habitants de La Rinconada n’en sortent pas indemnes pour autant. Ils sont 25% à développer des symptômes pathologiques du mal chronique des montagnes, contre 5 à 10% des personnes vivant entre 3 500 et 4 000m d’altitude. Ces symptômes comprennent un essoufflement anormal, des palpitations, maux de tête, acouphènes ou un sommeil perturbé».
En particulier, «sur le plan clinique, la plupart des enfants sont plutôt en bonne santé, sans carence majeure et avec une croissance cérébrale normale et des compétences motrices et langagières préservées, résume Alexa Garros [pédiatre au CHU de Grenoble], malgré un âge d’acquisition de la marche (18 mois) et de la parole (3 ans) plus tardif que ce qui est typiquement constaté en France.
“Nous avons néanmoins observé chez certains enfants un potentiel impact négatif sur certaines fonctions cognitives, avec de légers retards neuropsychologiques et des signes clairs d’hypoxie (manque d’oxygène) chronique grave”, tempère la pédiatre. Certains enfants de 8-12 ans présentaient notamment un “hippocratisme digital”, ce défaut d’oxygénation qui se manifeste par des ongles épais et courbes. “En France, on observe cela dans des pathologies cardiaques ou pulmonaires graves” précise-t-elle».

En somme, «“jusqu’à 4 000m, [zone assez souvent habitée dans les Andes], le manque d’oxygène est significatif mais encore tolérable pour des gens dont les ancêtres vivaient à ces altitudes” [conclut Samuel Vergès]. “On a vraiment l’impression qu’il y a une cassure, un effet exponentiel à partir de La Rinconada sur les conséquences sanitaires, qu’on atteint la limite de l’adaptabilité génétique et physiologique humaine”».

Référence

Gaubert, Camille, 2024, «L’étonnante adaptation du corps à l’altitude», Sciences et avenir 926, pages 73-75.

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Photographie d’illustration: MariCastro pour Pixabay.fr