Dans le 84ème des «portraits étonnés» réunis par Dorian Chauvet pour ses Histoires de nos mains, le chirurgien Jean-Michel Dubernard présente un obstacle très inattendu à sa passion de «Faire revivre les mains». Retour sur une «première» qui avait tout pour réussir.

 

Vues d'en haut, quatre mains en gros plan forment comme un quadrillage au centre de l'image en se tenant mutuellement par le poignet. Chaque main semble appartenir à une personne différente, sans qu'on ne puisse plus réellement savoir laquelle appartient à qui, qui tient l'autre, qui passe au-dessus de sa voisine. Seules les couleurs de peau différentes tranchent vraiment. La main qui arrive par le haut tient le poignet de celle qui arrive par la gauche. Celle-ci passe donc sous la première pour aller tenir le poignet de celle qui arrive par le bas. Cette troisième tient le poignet de la dernière qui entre dans l'image par la droite pour venir fermer le carré en tenant la toute première par le poignet.

 

L’histoire commence comme un de ces «miracles» médicaux dont raffolent les médias. Pour sa première expérience de greffe d’une main prélevée sur un donneur décédé, le 23 septembre 1998, le Dr Jean-Michel Dubernard coordonne l’opération du Néo-zélandais Clint Hallam, amputé quatorze ans plus tôt, après avoir été blessé par une scie circulaire. Le chirurgien insiste sur la lourdeur et la lenteur de la coopération internationale, la longueur et la fatigue de l’intervention.

Heureux dénouement? «La récupération motrice et sensitive s’avéra très satisfaisante. [… Le patient] était enchanté d’avoir retrouvé une image corporelle normale, de pouvoir aller au restaurant sans se faire remarquer, de pianoter et surtout de pouvoir conduire une voiture. Il ne présentait pas de signes de rejet» (page 257). Soit un gain tactile (et, même, visuel) important.

Complication! «Par contre, sur le plan psychologique, il vivait plutôt mal le fait d’avoir en permanence sous les yeux deux mains différentes. L’appropriation semblait très compliquée». Le chirurgien précise, comme une circonstance aggravante, un autre problème d’image, à la fois visuelle et mentale: «l’année 2000 fut difficile pour lui, car la première greffe des deux mains, très présente dans les médias, avait fait disparaître sa notoriété» (même page).

Catastrophe: «est-ce la raison, associée au fait qu’il n’avait toujours pas réussi à s’approprier la main malgré l’amélioration très significative de sa qualité de vie, qui le conduisit à diminuer puis à arrêter le traitement immunosuppresseur? Quoi qu’il en soit, un rejet s’installa progressivement et conduisit à l’amputation du greffon vingt-neuf mois après la greffe initiale», le 3 février 2001 (même page). Soit un retour au handicap tactile et au stigmate visuel de départ…

Note. Le médecin ne s’abaisse pas à évoquer les polémiques médiatiques autour du caractère non vital de cette greffe, ni les persiflages concernant les démêlés du patient avec la justice. Lire letemps.ch.

Référence
Dubernard, Jean-Michel, 2023, «Faire revivre les mains», dans Chauvet, Dorian (dirigé par), Histoires de nos mains en quatre-vingt-dix portraits étonnés, Paris, Le cherche midi, pages 256-258.

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Photographie d’illustration: Truthseeker08 pour Pixabay.com