«Comment l’ancien roi des animaux, vénéré pour sa force et craint pour sa férocité, a[-t-il] pu se transformer en le plus populaire des jouets, symbole quasi universel de l’enfance, de la tendresse et de la douceur?» À regarder et à imaginer jusqu’au 29 juin 2025.
«400 ours en peluche, issus des collections du musée, racontent la naissance de ce jouet» au tournant des 19ème et 20ème siècles, «alors qu’une grande partie des jouets trouvent leurs racines dans l’Antiquité (hochets, poupées, jouets à tirer, véhicules divers et variés, jeux de société, etc.)». La section 3 de l’exposition indique que le déclencheur a été l’observation de Margarete Steiff, couturière d’une petite ville proche de Stuttgart: Ayant constaté que les enfants aimaient s’amuser avec les coussinets de feutres en forme d’animaux qu’elle fabriquaient pour y planter aiguilles et épingles, elle se mit à en commercialiser comme jouets.
En 1902, son neveu Richard Steiff orienta l’entreprise vers «les animaux dont les mouvements peuvent ressembler à ceux des humains, l’ours et le singe». De fait, la section 1 rappelle que nous partageons avec les ours «la station debout, le régime alimentaire omnivore ou la plantigradie, c’est-à-dire le fait de poser toute la plante du pied sur le sol lorsque l’on marche. Nous avons [aussi] vécu dans les mêmes grottes», même si «les représentations de l’ours à la Préhistoire sont relativement rares».
Toujours en 1902, la mode fut lancée aux États-Unis par l’anecdote médiatique du président Theodore Roosevelt refusant d’abattre un ours qu’on lui présentait attaché pour qu’il ne rentre pas bredouille de la chasse. D’où le nom de «Teddy’s bear» (l’ours de Teddy), puis «Teddy bear» (l’ours Teddy). Ainsi se referma la parenthèse historique pendant laquelle le catholicisme avait combattu les cultes païens de l’ours en l’associant «au diable et à ses nombreux péchés, gourmandise, paresse, colère ou encore luxure» (section 2).
Les trois sections suivantes montrent comment le jouet a rapidement acquis le statut de doudou* par excellence. «Articulé et facilement manipulable, l’ours en peluche est prêt pour les câlins, comme une sorte de poupée pour garçons et filles, mais débarrassé de l’imitation du rôle maternel inhérent aux poupées» (section 4). «Dans la littérature jeunesse, notamment à partir des années 1920, […] la plupart des héros ursidés se rapprochent des ours en peluche et sont représentés ronds et doux, assez éloignés de l’état de nature» (section 5).
- Note. Le Grand Robert en ligne date de 1985 le premier emploi écrit de ce redoublement de l’adjectif «doux» au sens d’«objet généralement souple et doux (peluche, tissu) qu’un jeune enfant choisit comme “compagnon” (pour jouer, pour dormir). […] Les doudous sont, dans le langage des pédiatres, des objets transitionnels».
Les dernières étapes abordent le symbolisme de l’ours en peluche dans l’imaginaire adulte. «Aujourd’hui, alors que les enfants abandonnent leurs jouets de plus en plus jeunes, l’ours en peluche résiste grâce à sa charge symbolique, aux artistes qui s’en inspirent, et aux adultes qui les gardent dans leur vie». Les peluches abandonnées ou volontairement déposées sur les lieux de drames, «les différentes actions menées pour sauver l’espèce, et les débats qu’elles suscitent, montrent que l’ours n’a jamais été, et ne sera jamais, un animal comme les autres» (introduction).
Notre avis
Tous les thèmes importants sont abordés, mais beaucoup restent effleurés comme en passant, au contraire de l’exposition Des cheveux et des poils, par exemple. Cela fait de cette visite une alléchante introduction dont on ressort avec le désir d’en savoir davantage, donc aussi avec le regret que cette riche matière soit rarement prise à bras le corps.
En particulier, la «forêt tactile» étant joyeusement envahie par les enfants, l’absence d’une matériauthèque se fait cruellement sentir pour que les adultes donnent toute leur valeur expériencielle à des notations tactiles, telles que:
–«Son nom en français garde toujours le lien avec le matériau, la peluche. La caractéristique de ce tissu est de présenter sur une face des poils soyeux et longs, moins serrés que le velours auquel il peut être comparé. Cette douceur, proche de celle de la fourrure, est essentielle car elle convoque le sens du toucher» (introduction).
–«Depuis les premiers exemplaires en mohair, , rembourrés à l’aide de paille de bois et articulés grâce à des ficelles reliant les membres au corps, lourds et rigides, l’ours en peluche s’est assoupli et adouci» (section 3).
–«Les yeux en boutons de bottine, pulpe de bois compressée, deviennent en verre. Le rembourrage en paille de bois laisse la place au kapok, plus léger et doux» (section 4).
–«Des matières artificielles plus molles et plus douces facilitent la prise en main et les câlins» (section 6)…
Bonus: s’endormir contre un ours vivant
À l’exception du goût, cet extrait de roman fait appel à tous les sens pour détailler les perceptions d’abord angoissées, puis apaisées, d’un enfant de dix ans, seul, la nuit, dans une forêt du Wisconsin.
«Il s’aperçut qu’il était acculé devant l’une des niches creusées dans la paroi*.µ L’ours montait la garde, dans l’écho sourd de son propre souffle. Fish n’avait d’autre choix que de se coller dans cette alcôve. L’ours souffla, fit encore un pas. Fish s’adossa à la pierre, s’accroupit ; le corps de la bête ne lui laissait qu’une vue rétrécie sur l’extérieur.
«L’ours l’observa un instant, puis leva le nez vers la pluie et grogna. Il décrivit un demi-cercle devant l’entrée, comme un chien géant prêt à se coucher, puis abaissa son corps massif sur son derrière et ses pattes avant pour s’étendre en travers de l’entrée de la grotte.
«Fish était dans le noir complet. Le bruit de la pluie battante et du tonnerre était étouffé. L’air dans l’espace confiné s’emplit de l’odeur musquée de l’ours et de celle de la roche de rivière. Il tendit l’oreille. Perçut le bruit des poumons de l’ours brun. Il resta parfaitement immobile un laps de temps qu’il estima à plusieurs minutes. Lorsque l’ours gronda, Fish s’agenouilla, à quelques centimètres du large dos de l’animal.
«Sous lui, le sol s’incurvait. Il était sec. La pierre était froide, mais l’ours diffusait une chaleur incroyable. Fish posa ses mains hésitantes sur son dos, effleura le bout des poils humides. La peau de l’ours tressaillit, et Fish retira ses doigts. Il s’agenouilla en silence, écoutant sa respiration et celle de l’ours. Tout était sombre, calme, et chaud. Fish n’avait jamais éprouvé un tel besoin de chaleur, ni une telle fatigue. L’ours inspirait, expirait, ses poumons géants apaisaient l’orage du dehors. Fish était hermétiquement abrité. Sa tête commença à dodeliner, à tomber de plus en plus bas, jusqu’à ce qu’il s’allonge à même la pierre et se roule en boule. Aux confins de la conscience, il se rapprocha de la source de chaleur, jusqu’à ce que ses genoux s’enfouissent dans un fouillis de poils drus et humides, ses doigts et son visage aussi, qu’il sente ce souffle grondant et ce calme indicible.
«Cette nuit-là, il rêva de sa mère chevauchant à travers des dunes givrées, de son père souriant au sommet de l’une d’elles, des murmures dans la respiration du sable.»
Andrew Graff, 2021, traduction française Laure Manceau, 2022, Le Radeau des étoiles, Gallmeister / Totem, 2024, pages 327-328.
Consulter le dossier de l’exposition sur madparis.fr.
Photographie d’illustration: Cherylholt pour Pixabay.com
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