Emmanuelle Fournier Chouinard est psychologue clinicienne et dirige le Centre Humanimal au Québec. Dans un article du Sociographe, elle présentait en 2021 deux conceptions opposées de ce que les Français nomment médiation animale et les Québécois zoothérapie. …

 

 

De profil, avec un jardin semblable à un verger dégagé en fond, une femme fait un énorme câlin à un chat. Elle a la tête inclinée en arrière, les yeux fermés vers le ciel et un large sourire comme dans un mouvement d'extase. Elle porte à ses lèvres un chat gris à poils courts qui pose sa joue contre sa bouche. Tout le corps du chat est en contact avec la femme (le nez de la femme dans la fourrure du chat) et sa patte gauche vient enlacer le visage de la femme au-dessus de son oreille, soulevant une mèche de cheveux. Une sorte d'arche de verdure les surplombent.

 

Ce travail substantiel est également orienté par l’engagement de l’autrice en faveur des droits des animaux non-humains, que nous n’aborderons pas ici. Il est très pertinent pour l’AFONT parce qu’il est le seul que nous ayons trouvé, à ce jour, pour décrire précisément les rôles de la sensorialité dans les interventions assistées par l’animal. Nous nous limiterons donc à constater que la conception du non-humain comme un outil ou comme un partenaire a des conséquences sur la réussite même de la médiation, donc –d’un point de vue égoïstement anthropocentrique– sur la satisfaction de l’usager humain.
L’article s’ouvre sur la narration fictive d’une intervention ressentie par une lapine traitée comme un outil (sections 1 à 4) et son commentaire anthrozoologique (section 5 à 9). Il se poursuit par une synthèse sur les études des relations entre humains et animaux (sections 10 à 16). Sa plus grande part propose le récit documenté et l’analyse de la psychothérapie de Monsieur T. en interaction avec l’autrice et la chienne Célestine, mais aussi d’autres partenaires animaux (chats, poissons, cheval et canards), dans les sections 17 à 53.

  • Du côté de l’instrumentalisation, «plusieurs modèles proposent un “animal prétexte ou brise-glace” à une intervention humaine, se centrent sur les effets de sa simple présence ou misent sur le contact physique et les interactions dirigées» par la/le thérapeute (section 32). L’autrice redoute une «montée en flèche de l’engouement pour “l’animal-pillule-miracle” qui sauverait l’Humanité de tous ses maux» (section 51), dont le début de l’article souligne les nuisances pour l’animal objet comme pour l’usager humain: prostration ou tentative de fuite, morsure ou griffure d’autodéfense en raison de «contacts physiques mal accordés (c’est-à-dire surface de contact main-corps trop grande, pression trop forte, localisation [inadéquate] du contact)» (section 7).
  • Du côté du partenariat, le modèle humanimal «invite à une véritable connexion relationnelle, vécue dans un cadre inclusif. L’animal non-humain […] est un sujet de “parole non-verbale”; un partenaire dont on sollicite la participation en vue d’une collaboration réelle à un processus d’intervention foncièrement humanimal» (section 32). Les processus décrits pour la psychothérapie peuvent bien sûr être transposés dans d’autres cadres, y compris pour des activités collectives.

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Dans l’exemple de Monsieur T. l’annonce de la présence d’animaux, dès la prise de contact par téléphone, joue le «rôle de support aux souvenirs» d’enfance (sections 19-20). Au premier rendez-vous, la chienne Célestine «va librement à sa rencontre pour amorcer avec lui les premiers pas d’un ballet relationnel inter-espèce» (section 27). Ce faisant, «elle se positionne d’emblée à ses côtés, permettant une certaine rééquilibration des forces en présence. En effet, pour le primate humain, animal social très sensible aux questions de statut et de hiérarchie, le rapport aidant-aidé se charge souvent de sentiments de vulnérabilité, voire d’infériorité. Par son approche directe, son ouverture confiante et son aisance, Célestine vient faire contrepoids» dans la relation patient-soignant (section 21).
Plus tard, quand le patient se met à pleurer, «la petite chienne bondit sur-le-champ et love son corps à elle contre son ventre à lui, tête en appui sur l’accoudoir du fauteuil. Qu’on veuille bien de lui, à cet instant précis où lui-même se trouve si pitoyable dans la mise à nu de sa propre vulnérabilité, voilà qui touche profondément Monsieur T. Cela lui semble à la fois incroyable et rassurant. Il passe ses doigts dans le doux pelage de la chienne. Ce mouvement régulier l’apaise. En immobilisant sa main sur la poitrine de l’animal, il arrive même à percevoir les battements de son cœur. La sensation est curieuse. Une pensée fuse: cela fait si longtemps qu’il n’a pas été aussi près de quelqu’un» (sections 36-37).
Au fil des séances suivantes, les chatons «lui ont permis de faire l’expérience de la puissance de se soigner en apportant des soins aux autres»; avec le cheval, «il s’est penché sur les ancrages de sa propre méfiance en plus d’affiner sa conscience de ses ressentis corporels»; enfin, «les canards amoureux […], par leurs ébats impudiques, ont amené le thème de la sexualité» (section 46). En somme, «“être ensemble” et “faire ensemble” est générateur de mille occasions pour s’exercer à s’arrêter, contenir, ressentir, éprouver, penser, choisir, agir… Et parfois, faire l’expérience de réels moments d’accordage inter-espèce pouvant agir comme des jalons significatifs, voire des expériences de pointe, dans la vie de quelqu’un» (section 41).
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Emmanuelle Fournier Chouinard récapitule ainsi l’apport de chacun: pour les animaux, «il s’agit d’être sensible aux mouvements affectifs et comportementaux de Monsieur T. et d’y réagir de manière spontanée. Pour la psychothérapeute, c’est être en présence attentive afin que ses propres capacités d’écoute et d’analyse soient optimisées par la qualité et la quantité d’informations reçues de ses partenaires. […] Finalement, pour le patient, cela implique de s’ouvrir à ce cadre nouveau, d’accepter d’y jouer et d’y libérer sa parole et son geste, mais aussi d’y prendre appui pour franchir les écueils rencontrés» (section 43).
En somme, «plutôt qu’un face-à-face confrontant dans le rapport aidant-aidé, [l’animal-partenaire] est ce tiers qui, s’invitant à la rencontre, en médiatise et défléchit (module) l’intensité. La juste posture invite à une saine triangulation où les humains, ensemble, en côte-à-côte, envisagent cet être sensible, conscient et communiquant qui les sépare et les rapproche tout à la fois. Tous participent alors d’un dialogue inter-espèce revivifiant», où «l’animal non-humain est en même temps ce “comme Soi” et cet “Autre différent”» (section 49).

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Photographie d’illustration: Uschi_Du pour Pixabay.com