Art contemporain et nature: la Toscane secrète

Deux jardins de sculptures s’épanouissent dans la province de Grosseto, non loin de Sienne, aux confins de la Toscane, du Latium et de l’Ombrie: le Jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle à Capalbio, et le Jardin de Daniel Spoerri à Seggiano. Les deux artistes se sont parfois côtoyés dans la mouvance du «nouveau réalisme» et les lieux qu’ils ont créés ont en commun de s’étendre sur d’agréables collines ombragées, ajoutant à la contemplation et à la méditation esthétiques le plaisir de la promenade en plein air. Beaucoup d’œuvres restent inaccessibles au toucher en raison de leur taille, mais on peut en caresser un bon nombre et entrer dans plusieurs.

Il Giardino dei Tarocchi

Une partie d'une des sculptures du jardin, vue en contre-plongée. Une main de couleur verte, les doigts légèrement repliés comme pour attraper quelque chose se dresse, plantée dans le socle. Derrière, on distingue des éléments colorés du reste de la statut et une haie au loin.

États-unienne par sa mère et française par son père, Niki de Saint Phalle (1930-2002) a longtemps été minorée en France, parce qu’elle était une femme, une autodidacte et l’épouse du plasticien Jean Tinguely. Ce dernier a contribué aux armatures métalliques qui sous-tendent certaines sculptures ou aux mécanismes qui les animent. Mais leurs imaginaires ne se confondent ni par les thèmes ni par leur traitement, et Saint Phalle a continué à créer pendant plus d’une décennie après la mort de son mari.

Une partie d'une des sculptures vue en légère contre-plongée. Une main au premier plan, peinte en rouge, plantée dans le socle des mosaïque, dressée, les doigts ouverts et bien droits. Autour, d'autres éléments épars, indistincts pour certains, mais le plus imposant était une dent blanche et dorée, renversée à côté de la main, à l'horizontal. Derrière, des arbres, une haie.

La construction du Jardin des Tarots a débuté en 1979 et son ouverture au public date de 1998. Il présente une trentaine de sculptures monumentales incluant des centaines de détails à hauteur de personne, comme les deux mains photographiées ci-contre, extraites du foisonnement de dépouilles qui jonchent le socle de l’arcane 13 («La Mort»). Les formes arrondies du béton rêche sont, le plus souvent, revêtues de facettes lisses et anguleuses en miroir ou en céramique aux couleurs vives. On y retrouve l’imaginaire provocateur de l’artiste, parfois tourmenté mais presque toujours ludique: fesses et seins hypertrophiés, phallus multiples, nombreuses têtes de morts… et constructions dans lesquelles le visiteur pénètre en passant entre les jambes de créatures géantes ou en se faufilant dans des couloirs, des escaliers, des grottes… jusqu’à l’appartement temporaire de Niki de Saint Phalle pendant les travaux, aménagé à l’intérieur de l’arcane 3 («L’Impératrice»).
Pratique : località Garavicchio di Pescia Fiorentina, 58011 Capalbio, provincia di Grosseto, Italie. https://ilgiardinodeitarocchi.it/fr/.

Il Giardino di Daniel Spoerri

Daniel Spoerri (1930-) est le fils d’un père roumain de confession juive, assassiné lors d’un pogrom en 1941, et d’une mère suisse, dont il prendra le nom et la nationalité. D’abord danseur, puis comédien et metteur en scène, il fonde à Paris, en 1959, les éditions MAT: Multiplication d’Art Transformable. Il s’agissait de produire à un prix raisonnable des séries limitées d’objets numérotés et signés par des artistes tels que Marcel Duchamp, Bruno Munari, Jean Tinguely ou Christo, entre autres. Son œuvre à lui interroge l’absurdité de la condition humaine après la seconde guerre mondiale et rend palpable l’éphémère en utilisant les déchets de la consommation industrielle ou alimentaire.

Portrait de deux personnes, un homme et une femme, dans la sculpture moulage de la chambre. Les murs se découpent sur le fond du jardin. La chambre est inclinée, montée à l'envers pour certains éléments (des chaises, tables etc au mur, comme collées dessus à la vertical). Le couple s'appuie sur une table, au centre de la pièce, ornée de chaises et proprement dressée. On comprend qu'il y a distorsion de la perspective car, bien que côte à côte, les deux personnes n'ont ni la même taille, ni les mêmes proportions (celle de derrière est plus allongée).

Le Jardin de Seggiano a été développé depuis 1997 et présente en 2024 113 installations de 55 artistes. Il illustre notamment par des moulages en métal la technique des «tableaux-pièges», que Spoerri explique ainsi: «les objets trouvés dans des positions fortuites, dans l’ordre ou le désordre (sur des tables, dans des boîtes, des tiroirs, etc.) sont fixés (“pris au piège”) tels qu’ils sont. Seul le plan est changé: puisque le résultat s’appelle une image, ce qui était horizontal devient vertical. Exemple: les restes d’un repas sont fixés à la table sur laquelle le repas a été consommé et la table
est accrochée au mur» (cité par Gérard Durozoi, 1992, Dictionnaire de l’art moderne et contemporain, page 638). Ainsi, la photo ci-contre montre deux visiteurs de 2024 dans la réplique de la Chambre n° 13 de l’hôtel Carcassonne (24 rue Mouffetard à Paris), telle que Spoerri l’a connue entre 1959 et 1965, mais inclinée de 45° vers l’avant. Plus récemment, il a expérimenté de «faux tableaux-pièges» en marbre non poli, composés pour évoquer plusieurs artistes, comme les «Douze derniers repas de femmes célèbres» (Duodecim ultimae cenae de claris mulieribus;, 2008).
Pratique : strada provinciale Pescina, 58038 Seggiano, provincia di Grosseto, Italie. https://www.danielspoerri.org/

Photographies d’illustration: Françoise Guignard Hudzik, Cathy Verine.