En s’interrogeant sur le traitement des «personnes âgées hospitalisées atteintes de démence», un psychiatre et deux infirmières suisses dressent un état des connaissances occidentales sur les dimensions physiologiques, psychologiques et relationnelles du toucher thérapeutique.

Une jeune femme se penche pour toucher l'épaule d'une dame âgée lors d'une semi-accolade ; elles se sourient

Pour cet article de 2016, les auteurs ont dépouillé 116 travaux scientifiques et confrontent les résultats des 50 plus pertinents. Ils commencent par présenter «Les caractéristiques neurophysiologiques du toucher» (pages 9-12), avant de faire la «synthèse des connaissances relatives au toucher/massage dans les sciences infirmières» (pages 12-16), puis de se centrer sur les soins aux personnes âgées (pages 16-20). Ils notent que «les soignantes décident de manière auto-référencée la réalisation d’un contact physique affectif. Il s’agit pour elle d’une affaire individuelle qui n’a pas à être régie par l’institution. Cette représentation du toucher affectif est à risque de provoquer de l’iniquité envers les patients ayant des comportements désinhibés ou dont le corps ou la peau pourraient provoquer une certaine répulsion. a contrario, les soignantes pourraient dispenser préférentiellement du toucher affectif […] auprès des personnes avec qui l’affinité personnelle est plus marquée» (page 20).

Du contact mécanique aux interactions sociales via les hormones

Au titre de la neurophysiologie du toucher, les auteurs pointent notamment la découverte récente des fibres CT (fibres tactiles de type C) dans la peau pileuse, par exemple sur le dos des mains ou les bras: «ces fibres CT semblent bien répondre à un contact spécifiquement lent et doux, comme celui qui se produit au cours des interactions sociales avec des proches» (page 10). Leur connexion avec le cortex insulaire explique l’impact d’un massage à pression modérée: il stimule, d’une part, l’activité du nerf vague et la production des hormones euphorisantes que sont la dopamine et la sérotonine; il diminue, d’autre part, la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la production d’adrénaline et de cortisol, hormones du stress.
Dès la naissance, certains caractères génétiques interagissent avec ces processus biochimiques pour construire «l’histoire de l’attachement d’une personne et […] ses facteurs de prédisposition neurobiologique» (page 12). Ils «deviendront partie intégrante de schémas personnels guidant les rapports aux autres» (page 11). Les auteurs distinguent quatre types d’attachement: sécuritaire, évitant, anxieux ou désorganisé. Le type d’attachement privilégié aura «une forte et durable influence sur le traitement émotionnel et cognitif des informations pour comprendre les autres et interagir avec eux» à l’âge adulte et dans la vieillesse (même page).

«Toucher affectif» versus massage

Parmi les travaux recensés, J. Bottorff décrit «cinq types de toucher dans les soins infirmiers». Deux d’entre eux sont communs à toutes les relations interpersonnelles: le toucher dit “de contact” attire l’attention et maintient le lien, le toucher dit “social” accompagne telle ou telle intervention «afin de réduire les barrières». Deux autres types sont spécifiques: «le “toucher d’orientation” cherche surtout à expliquer au patient le processus ou le lieu d’une procédure réalisée sur son corps en pointant le doigt dessus ;», et «le “toucher de travail” représente tous les contacts physiques nécessaires pour réaliser les soins». L’objet de l’article est le toucher “de confort”, «calmant, rassurant ou encourageant», qui consiste à tenir, à frictionner ou à tapoter la main, les bras ou le genou du patient. Dans d’autres publications, ce «toucher à visée émotionnelle est nommé parfois “toucher affectif”, “toucher non nécessaire”, “toucher expressif” ou “toucher qui prend soin” ou encore “toucher non orienté vers une tâche”» (page 12).
Pour que le contact soit vécu positivement par les deux partenaires et produise l’effet recherché, trois conditions sont nécessaires: chacun des deux doit ressentir que le toucher en question est socialement autorisé, qu’il est compatible avec ses propres expériences antérieures et celles de l’autre, enfin, que son intention est bien identifiée (page 13). C’est d’autant plus vrai dans une situation très inégalitaire comme celle qui fait interagir un soignant et une personne âgée atteinte de démence. Les auteurs soulignent notamment à plusieurs reprises que «certaines formes de toucher [y compris les soins d’hygiène] pourraient au contraire être mal perçues et interprétées par ces patients comme une violation de leur espace personnel et devenir des antécédents primaires à l’agitation» (page 17, voir aussi 12, 13, 16 et 20). Ils insistent sur le fait que «Les mains sont particulièrement faciles d’accès et leur contact socialement acceptable dans toutes les cultures» (page 21, voir aussi 17 et 19).
L’intérêt de passer du «toucher affectif» spontané au geste thérapeutique du massage est triple. D’une part, cela répond au risque d’inégalité de traitement entre les patients. D’autre part, «le geste est simple à apprendre et à réaliser et prend peu de temps pour donner un sentiment de confort (8 minutes par main)» (page 19). Enfin, «en partageant avec leur thérapeute leurs expériences relatives au massage, les patients développent un nouveau cadre de conscience […] L’explicitation des sensations corporelles pourrait représenter la première étape d’une verbalisation émotionnelle ressentie comme plus réelle et plus tangible qu’une conversation juste verbale avec un psychologue» (page 16).

Particularités du soin aux personnes âgées hospitalisées atteintes de démence

Les études prouvent à la fois une diminution des capacités perceptives du toucher des personnes âgées et une augmentation de leur besoin d’être touchées. D’autres explications de ce besoin sont «l’altération de l’image corporelle, le sentiment d’isolement et de rejet, la dépersonnalisation et la régression des personnes âgées dans les milieux de soins de longue durée» (page 16). Or la pratique du toucher affectif ou du massage semble améliorer leur estime de soi et stimuler leur «recherche de communication avec les soignants» et avec les autres patients. Cela «se manifestent par un accroissement des interactions visuelles, des contacts tactiles et du niveau d’attention» à la suite des visites incluant ces gestes (page 17).
Réciproquement, les enquêtes professionnelles montrent que, «quand [les soignants] réalisent ces gestes, ils […] expérimentent une diminution de leur sentiment d’impuissance face à la détresse de ces patients. […] Ce contact physique facilite la construction d’une relation de confiance, et leur permet de rejoindre le patient au-delà de sa maladie et des difficultés de communication. Le patient est alors perçu comme un véritable être humain souffrant» (page 19).
Soulignons, pour finir, que cet article d’une grande richesse est rédigé dans un style assez technique et souvent répétitif, dans le but de prouver scientifiquement l’intérêt de gestes que certains techniciens de la santé considèrent encore comme superflus, voire déplacés, ou comme des à-côtés du soin laissés à l’appréciation subjective du praticien.
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Photographie d’illustration: Mimirebelle pour Pixabay.com