Ce poème circule déjà beaucoup sur Internet mais, outre sa grande qualité, l’AFONT souhaite attirer l’attention sur son contenu sensoriel: l’autrice joue d’abord avec les mots pour repousser les idées reçues, avant de nous inviter à prendre la vie à bras le corps. …
Je vous souhaite
Je ne vous souhaite pas la santé
même si j’aimerais vous dire
que vous resterez solides, vaillantes,
vifs
de longues années encore
mais la santé ne se souhaite pas
elle s’entretient
et c’est une chose répétitive et
ennuyeuse et pleine d’habitudes
Je ne vous souhaite pas l’argent
même si j’aimerais vous dire
que bientôt vous n’aurez plus rien à craindre
pour vous et vos proches
qu’il y aura de grandes maisons
des retraits au distributeur
sans avoir peur du « refusé »
et de la carte engloutie
l’argent ne se souhaite pas
il se gagne s’épargne ou se vole
et c’est une chose répétitive
ennuyeuse et pleine d’habitude
Je ne vous souhaite pas l’amour
même si j’aimerais vous dire
que vous êtes aimée et que vous aimez en retour
avec la force de celles et ceux qui
n’ont plus rien à perdre
et dont le coeur ressemble
à une vie entière
sans jalousie sans méchanceté
sans mensonge bien travaillé
l’amour ne se souhaite pas
il se construit se nourrit s’arrose
et c’est une chose répétitive
peu ennuyeuse et pleine d’habitude
Je vous souhaite
La rencontre d’une seconde
d’une mer déchaînée
d’une colline affolée par le vent
d’un sommet séché par le soleil
Je vous souhaite
le sourire de l’être aimé
le baiser comme une merveille
la main tendue pour celui
qui apprend à marcher
Je vous souhaite
le vol du grand hibou sacré
la course du chien dans la clairière
le rire du vieillard malade
les derniers mots d’un mourant
pour ceux qui restent
Je vous souhaite
d’être mille fois débordé par la joie
d’être fou sur la plage
endormi dans la vallée
de reconnaître à l’entrée du village
la maison de celle qui vous a tant aimée
Je vous souhaite tout
ce qui ne se gagne pas
tout ce qu’on ne peut pas perdre
les marées hautes
les oreilles basses pendant la sieste
je vous souhaite d’être attentif
au moindre frémissement
je vous souhaite la beauté
qui dure longtemps
[Note. Née en 1990, Cécile Coulon est reconnue pour ses poèmes, ses nouvelles, ses romans… C’est un plaisir toujours renouvelé d’écouter ses entretiens avec ses collègues en écriture pour la série «La source» sur France Inter (2022, 38 épisodes). Ce qu’elle ne nous «souhaite pas» sont les situations tellement génériques qu’elles en deviennent abstraites, et les actions socialisées qu’elles supposent. Ce qu’elle nous «souhaite» est «la rencontre» du plus possible de ressentis dont nous pourrons tisser «la beauté qui dure longtemps».]
Écouter «La source» sur radiofrance.fr.
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Photographie d’illustration: Extremis pour Pixabay.com
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