Seul le Dictionnaire des mots du sensoriel définit l’usage technique des dérivés du nom familier paluche, en notant à l’entrée paluché: «qui a été détecté par glissement de la main sur la surface». Plusieurs métiers impliquent cette activité, parfois sans la nommer.
En 2021, Bertrand Verine indiquait dans Le Toucher par les mots et par les textes: «À partir du nom pale (au sens d’extrémité aplatie), on a créé au 20e siècle paluche, désignant familièrement la main [surtout quand elle est grande]. Pour les dérivés paluchage et palucher, les premières réponses sur Internet mentionnent uniquement une signification érotique. En recherchant le nom palucheur, on découvre cependant qu’il désigne, dans l’industrie automobile, un technicien chargé de passer ses mains sur les jointures du capot, des portières, du hayon…, afin de vérifier le bon ajustement des points de la carrosserie» (page 155).
En 2024, on peut lire sur le site du groupement d’employeurs Alliance Emploi la description suivante:
«Les missions: Le palucheur est en charge de caractériser et prédire les défauts d’aspect des ouvrants. Il s’agit d’une détection de défaut de forme ou d’impureté avec le toucher. En effet, le paluchage est une technique particulière qui consiste à passer sa main sur les ouvrants afin de détecter les défauts et pouvoir ensuite décider quelle technique de retouche utiliser.
«Les compétences: Détecter, Classifier, Retoucher. Le métier de palucheur demande aux professionnel-le-s de faire preuve d’une bonne dextérité afin de détecter les défauts d’aspect rencontrés sur les véhicules automobiles. En effet, les défauts sont détectés avec l’utilisation de la main. Il doit également faire preuve de précision [pour] identifier et classifier les défauts afin d’effectuer les solutions de retouches les plus adéquates face à un véhicule non conforme. La connaissance des potentiels défauts rencontrés et répertoriés est primordiale.»
Nous proposons ci-dessous quelques évocations plus sensorielles d’activités comparables, même si on n’emploie pas couramment le mot palucher pour en parler:
«Effacer un pli sur une tôle»
«Lorsqu’il s’agit d’effacer un pli sur une tôle […] il faut sentir le moment exact où le contre-pli aura effacé le défaut, sans en créer un nouveau. Or on travaille à l’aveugle, la tôle étant souvent bridée et les efforts exercés sur des cales pour assurer une répartition homogène de la pression. Pour ne pas nous aider, la matière a en plus un comportement élastique avant d’accepter de se déformer de façon permanente. Il faut donc ressentir l’imperceptible: le moment du glissement des plans atomiques! C’est une sensation impossible à décrire, mais elle existe.»
- Arnaud Magnin, bronzier, dans Dorian Chauvet, page 271.
«Dans la plupart des situations, la main lit mieux que l’œil ce que pourtant elle ne voit pas»
«Par exemple, lorsque vous voulez contrôler la régularité de l’épaisseur d’une lame, sauf s’il s’agit d’un défaut majeur, la regarder ne vous renseignera pas utilement. En revanche, si vous pincez délicatement la lame à sa base et que vous la parcourez entre un pouce et un index qui ont été bien éduqués, elle vous renseignera avec précision sur les irrégularités éventuelles et leur localisation, qu’il s’agisse de surépaisseurs ou d’amincissements inopportuns. Avec l’expérience qu’elle aura acquise, la main […] lira les formes et surtout les volumes au moins aussi bien que vos yeux. C’est votre main qui vous dira si un mécanisme est fluide ou s’il gratte à quelque endroit. C’est enfin votre main qui vous renseignera sur l’essentiel: la qualité du contact entre extrême douceur et rugueux de bon aloi d’une part, et la qualité précisément de la tenue en main, qui est si importante et déterminera en grande partie la qualité réelle de l’ergonomie du couteau que vous avez imaginé avant de le réaliser, d’autre part.»
- Jean-Pierre Suchéras, coutelier, dans Dorian Chauvet, page 97.
«Obtenir une surface unie aux courbes régulières»
«Le toucher est également mis à contribution pour les finitions, que ce soit pour la pierre ou le bois. Il s’agit cette fois de déceler les imperfections d’une surface régulière. Par exemple, si je sculpte la jambe nue d’un éphèbe dans la pierre calcaire de Bourgogne, il me faut obtenir une surface unie aux courbes régulières rappelant la fermeté des chairs d’un jeune homme. Or le calcaire, composé de lits de sédimentation successifs, est rarement d’une homogénéité parfaite et, en dépit de mon attention, il arrive que le ciseau crée d’imperceptibles ondulations. Imperceptibles pour lors, mais que la lumière capricieuse dévoilera un jour ou l’autre, affublant le garçon d’une cellulite malvenue. L’œil ne suffit plus, il faut effleurer la pierre du bout des doigts pour déceler ces éventuels défaut.»
- Éric Delaclos, sculpteur, dans Dorian Chauvet, pages 114-115.
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Trouver «un défaut que l’on ne repère pas forcément au premier coup d’œil»
«Avant de couper une peau ou un cuir, je passe mes mains dessus et dessous afin de “voir” la surface de la peau sous un autre angle. Je peux ainsi ressentir une veine creuse ou boursouflée, une cicatrice, un défaut que l’on ne repère pas forcément au premier coup d’œil.» - Charly Palmieri, sellier harnacheur, dans Dorian Chauvet, pages 246-247.
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Connaître la “main” (ronde ou nerveuse) et le “break” du cuir
«La main du cuir je vais vous montrer, c’est en fait on prend la peau et on fait une sorte de petit repli et on passe la main, on touche le cuir pour voir, pour ressentir euh sa rondeur: est-ce qu’il a une main ronde, une main nerveuse? Donc on on appuie sur le cuir pour voir si y a une, y a un ressort dans le, dans le cuir et euh ce sont les principales caractéristiques des cuirs. Après on contrôle le break, ce qu’on appelle le break du cuir, c’est-à-dire on on fait passer la main pour voir s’il ne plisse pas trop, ce qui veut dire qu’il se comporte bien finalement, il va bien se comporter dans tout le travail qu’on aura en terme de collage, que le cuir va pas se doubler, y a une bonne adhérence au niveau de la fleur, tandis que si jamais le break n’est pas bon, on va avoir un aspect plus euh plus frisant, donc le cuir on a l’impression qu’il, qu’il va, une sorte de dédoublement entre la fleur du cuir, le dessus du cuir, et le, et le, le dessous du cuir.»
- Nicolas Darfeuille, ingénieur qualité cuir chez Hermès, France Culture, 30.07.2011.
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Références
Bassereau, Jean-François, et Charvet-Pello, Régine, 2011, Dictionnaire des mots du sensoriel, éditions Lavoisier / Tec & Doc.
Beressi, Julie, 2011, «Les cinq sens. Le toucher», France Culture, 30-31 juillet.
Chauvet, Dorian, 2023, (dirigé par), Histoires de nos mains en quatre-vingt-dix portraits étonnés, Paris, Le cherche midi.
Verine, Bertrand, 2021, Le Toucher par les mots et par les textes, Paris, L’Harmattan.Lire aussi sur notre site
Championnat du monde des tourneurs en poterie par Stéphane Montalto.Photographie d’illustration: Jotoler pour Pixabay.com
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