Paul Klotz publie pour cet organisme «cinq notes consacrées à l’usage des sens dans la cité et aux leviers de transformation politique qu’ils incarnent». Concernant le tact, il rencontre de nombreux arguments développés par l’AFONT, et rend hommage à notre travail.
Cette riche synthèse est rédigée dans un style précis et énergique, comme en témoignent au premier chef ses huit intertitres: «Faire la révolution tactile dans la société du sans-contact. Une brève philosophie du toucher: et si notre conscience résidait au bout de nos doigts? Peur de l’autre et assiettes propres: quand toucher devient tabou. Du toucher royal au doigt vandale: l’art de se tenir à distance. Quand caresser devient un acte révolutionnaire: le rôle politique du toucher. Le bourreau du toucher: comment le Covid-19 a mis nos gestes en quarantaine. Quand une caresse vaut un cachet: vers une médecine de la tendresse? Pour une politique des câlins!».
Points de contact
Nous nous réjouissons que soient transposées dans le domaine sociopolitique des idées directrices que nous partageons. Ainsi l’auteur prend-il comme point de départ le fait que «de tous les sens, le toucher est celui qui donne le contact le plus concret au monde. […] En touchant, l’individu obtient le degré d’information le plus élevé: la finesse des textures, la différence des poids et des formes, l’expérience de la chaleur ou de la marche». Mais il constate aussitôt que «l’histoire de la civilisation occidentale pourrait […] se résumer à celle de la mise à distance du toucher: de l’apparition des bonnes manières à table [… à] la pratique de plus en plus courante de la distanciation sociale, conjuguée à l’émergence massive des écrans dans nos quotidiens».
La «note» répond donc à ce constat qui est aussi le nôtre: «il existe un fossé immense entre l’importance abstraite et philosophique du sens du toucher et la conception que s’en font les individus. Car nous avons cessé de penser le toucher». Sur cette base, Paul Klotz argumente fortement l’idée que «le toucher peut avoir des effets bénéfiques à tous les âges de la vie, chez les personnes malades comme en bonne santé», et aboutit à cette préconisation: «nous suggérons donc de réhabiliter le toucher pour réapprendre à vivre en interaction avec le monde et les autres de manière plus humaine et plus attentive».
Chemin faisant, il conforte le bien-fondé de notre démarche: «rares sont […] les travaux universitaires et scientifiques qui nourrissent des réflexions transversales sur le sens du toucher. Il faut à ce titre saluer le travail de l’Association pour la fondation du toucher (AFONT), qui s’efforce d’élaborer, sur le temps long, une véritable bibliographie permettant de mieux comprendre les enjeux unissant les sciences sociales au sens du toucher. Leurs réflexions ont été utiles à l’auteur de cette note». La référence 9 renvoie à notre article Pourquoi les informations tactiles sont-elles souvent mises en inconscience, et le raisonnement s’appuie sur plusieurs extraits commentés par notre site: d’Arthur Rimbaud à Jean-Philippe Pierron, en passant par Boris Cyrulnik et Christophe Apprill.
Sillons à creuser
Paul Klotz défriche également des espaces que nous avons peu abordés jusqu’à présent, comme la phénoménologie des perceptions, la philosophie du care, ou des travaux sociologiques sur la méconnaissance de la nature par les enfants des villes, les bienfaits de la sylvothérapie, etc. Il documente notamment le fait que «la pandémie de Covid-19 n’est pas arrivée à n’importe quel moment: elle a elle-même cristallisé l’expérience d’un sentiment de solitude allant croissant dans la majeure partie de la population, en particulier chez les jeunes», alors même que «les scientifiques s’accordent à dire que le toucher joue un rôle de premier plan dans le bien-être individuel».
Il énonce ainsi son projet: «rôle écologique, rôle de soin, rôle social: le toucher est un sens au carrefour de toutes les dimensions de la vie de la cité. Imaginer des politiques du sens du toucher, au-delà de l’apparente incongruité du propos, revient en réalité à penser les grandes crises qui lézardent la société contemporaine, de l’enjeu environnemental à celui du lien social, de l’enjeu de la santé mentale à l’enjeu éducatif!». Ses premières propositions concernent surtout les domaines sanitaire et pédagogique. Pour préciser les dimensions sociale et écologique, nous renvoyons par exemple à nos articles Toucher la Vénus de Milo, une permission pour les aveugles et Du tact à la maison, dans les loisirs et au travail.
Réduire la «fonction politique» du tact aux seuls bons sentiments serait contreproductif, mais il est utile que l’auteur insiste en conclusion sur le fait que «le rôle central du toucher se trouve dans sa capacité à être producteur de solidarité, à tisser des liens d’empathie et de tendresse avec autrui» et qu’il convient, en conséquence, de «repenser le toucher à l’aune de la douceur, [de] réhabiliter les gestes tendres et protecteurs». Selon ses derniers mots, «penser une politique du toucher, c’est donc envisager une société plus empathique, où le soin, la douceur et l’attention se placent au cœur des relations humaines».
Consulter aussi sur notre site
Les contresens de la pandémie
et Lu dans Le Monde, le toucher n’a jamais paru aussi essentiel.
Lire la note de Paul Klotz sur www.jean-jaures.org.
Photographie d’illustration: Chezbeate pour Pixabay.com
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