Dans un article très documenté (Le Monde du 21.04.2020), Pierre Bouvier rappelle que se toucher le visage est un comportement naturel compatible avec l’hygiène, même en temps de pandémie. L’AFONT ajoute que voir et entendre peuvent aussi nuire gravement à la santé dans certains contextes.
[Postscriptum de 2022: on sait désormais que le corona virus se transmet par la respiration et par la salive. Les embrassades restent donc problématiques, mais on pourrait tout à fait recommencer à se serrer la main, en continuant bien sûr à se désinfecter régulièrement avec du gel hydroalcoolique. Or personne ne le dit, ce qui souligne à nouveau le manque d’éducation consciente du toucher. Notre société reste dans la logique du tout ou rien.]
Créature mi-humaine mi-démoniaque se touchant le visage

Les nombreux gestes impliquant de se toucher le visage, appelés «microdémangeaisons», apparaissent dès le ventre maternel, selon une étude britannique de 2013. Deux autres études (Sydney 2015 et Tokyo 2019) montrent qu’en moyenne, un adulte se frotte la figure une vingtaine de fois par heure: le front, les joues ou les oreilles (zones non muqueuses) dans 56% des cas; la bouche, le nez ou les yeux dans 44% des cas. Or, en temps d’épidémie, ces trois zones muqueuses sont des portes d’entrée privilégiées pour les infections.
De là à parler de «comportement à risque» qu’il faudrait «apprendre à contrôler par le coaching», il y a un pas démesuré auxquels s’essayent certains consultants, alors même que «la microdémangeaison “active” certaines zones du cerveau associées au circuit de récompense, et “désactive” certaines zones associées à la douleur», ce qui «participe au fait que l’on ne peut s’en empêcher*». Ne serait-il pas plus raisonnable d’apprendre à toucher en toute conscience, et proprement, comme on apprend à regarder et à écouter?
[Note: Agnès Guillot et Jean-Arcady Meyer rapportent qu’à l’université Brown de Rhode Island, des chercheurs travaillant sur un prototype de main artificielle commandée par le cerveau « ont demandé à [d]es patients [tétraplégiques] quelle était leur priorité numéro un, ils ont répondu qu’ils voulaient pouvoir se frotter le nez ou les yeux» (2014, Poulpe fiction. Quand l’animal inspire l’innovation, Paris, Dunod, pages 189-190).]

Cet article et la situation de pandémie mettent en évidence la différence d’attitude culturelle qui subsiste vis-à-vis de la vue et de l’ouïe, d’un côté, du toucher, d’autre part. Pour l’audition, des campagnes de santé publique et des réglementations officielles rappellent fréquemment qu’il est dangereux d’exposer ses oreilles à une musique trop forte ou au bruit prolongé de certains moteurs. Cependant, le conseil n’est jamais d’arrêter d’écouter de la musique ou d’utiliser certaines machines: le sens commun et, parfois, la loi recommandent seulement de limiter le niveau sonore ou de se protéger en portant des bouchons.
Pour la vision, les médias ont relayé le fait que soumettre ses yeux à la lumière bleue des dispositifs électroniques en fin de journée perturbe le sommeil, et que le faire trop longtemps au travail finit par endommager le cristallin ou la rétine. On sait aussi, notamment depuis les débuts du cinéma, que « certaines images peuvent choquer ». Toutefois, la préconisation n’est jamais de s’abstenir de regarder dans l’absolu : le bon sens limite seulement la durée de certaines activités visuelles, ou réserve certains spectacles à des âges déterminés de la vie.
Dans le cas du toucher, en revanche, le réflexe culturel est d’en revenir à l’interdit pur et simple: «il ne faut pas se toucher le visage», «pas céder à la tentation»… Or, comme le rappelle l’article du Monde, se frotter la figure avec un mouchoir est totalement bénin. Plus simplement encore, on peut «continuer à se toucher le visage en ayant pris soin de se laver les mains».
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Photographie d’illustration: 6335159 pour Pixabay.com