Dans sa rubrique «L’actu de l’histoire», le numéro de juillet-août 2023 de Géo Histoire consacre un reportage substantiel au… «fac-similé»! On y observe un infléchissement du dogme institutionnel de l’œuvre originale, qui pourrait bénéficier à l’émotion esthétique.

 

Les jardins du Manoir d'Eyrignac, classé Jardin remarquable et Monument historique de Dordogne. Ici, une allée de haies composées de taupières ; taillées à l'identique et alignées, celles-ci forment des cubes, chacun surmonté d'une sorte de chapeau mi pointu, mi rampe de tobogan, qui rejoignent d'autres allées perpendiculaires à cette centrale.  Le chemin herbeux encadré se déroule jusqu'au fond de l'image. La rangée de gauche projette des ombres dentelées sur le sol.

 

L’AFONT milite pour une politique de reproduction de qualité permettant à l’ensemble du public, dans sa diversité, une expérience esthétique complète, incluant le toucher, dans les musées et les sites touristiques. Cela implique de déconstruire les dogmes de l’ancienne muséographie, notamment le culte exclusif des originaux et la connaissance avant tout intellectuelle des œuvres. On perçoit dans le reportage de David Peyrat quelques glissements dans les discours des décideurs, même s’ils restent motivés par l’intérêt économique du tourisme et l’enjeu politique des représentations identitaires.

Les faits

Deux hauts-reliefs religieux de la Renaissance, pillés par le baron de Biron lors des guerres d’Italie, ont été vendus quatre siècles plus tard au Metropolitan Museum of Art de New York (MET), où ils sont exposés depuis 1908. Dès 1953, le département de la Dordogne avait essayé d’en obtenir des «copies d’après moulages», mais il «se vit opposer une fin de non-recevoir, le MET expliquant que l’opération serait trop onéreuse pour un résultat de mauvaise qualité». Ce qui a changé, c’est que la Dordogne possède aujourd’hui «une arme secrète: l’Atelier des fac-similés du Périgord [ASFP]. Une entreprise qui jouit d’une renommée mondiale pour avoir copié à l’identique –et avec succès– les peintures rupestres de la célèbre grotte préhistorique de Lascaux devenue trop fragile pour la visite, [parvenant] aux répliques Lascaux II (1983), Lascaux III (2012) et Lascaux IV (2016)».
«Le musée new-yorkais a [donc] approuvé, en 2022, la demande périgourdine, “d’autant plus qu’il avait l’assurance que les fac-similés prendraient forme grâce à la technologie 3D, ce qui évite d’avoir des équipes travaillant sur place et de déplacer les œuvres (estimées à 1,5 million de dollars)”, explique Francis Ringenbach, directeur artistique de l’Atelier, et lui-même peintre et sculpteur. […] Pour être le plus fidèle possible, le MET a réalisé une photogrammétrie des sculptures, “autrement dit, des images numériques en trois dimensions et en couleurs, que nous avons déjà imprimées en 3D, sous forme de résine, au format réel”», ajoute l’expert. Une des répliques va ainsi être (ré)installée au château de Biron à l’automne 2023, l’autre courant 2024.

Des évolutions lentes

On le sent: le temps de la muséographie est proche de la longue durée des phénomènes historiques qu’elle prend en charge. Il n’est donc pas encore question de donner ces fac-similés à toucher, et leur réalisation même se fait avant tout par et pour l’œil, comme le souligne l’insistance sur le temps et l’argent nécessaires à «la reproduction exacte des couleurs, usées par les siècles» des restes de polychromie, mais également des «graffitis anciens, qu’il faut aussi reproduire pour rester le plus fidèle possible à l’œuvre dans son état actuel».
Plusieurs détails attirent cependant l’attention. D’abord, parmi les technologies disponibles, ce n’est pas la virtualité de l’hologramme, pourtant très à la mode, qui a été choisie, mais la matérialité de la réplique. Ensuite, plutôt que d’une peinture en trompe-l’œil, «les copies, en résine, seront couvertes de calcaire broyé, donnant l’illusion de la pierre». Dans les deux cas, des savoir-faires mis au point lors d’opérations de très grande ampleur, comme Lascaux, bénéficient à des objets beaucoup plus modestes d’intérêt local. Enfin, ces procédés sont désormais envisagés comme des réponses possibles à des demandes sociales beaucoup plus répandues: ils pourraient, par exemple, selon Francis Ringenbach, devenir «une solution au casse-tête des restitutions d’objets auquel font face certains musées», notamment de la part de pays autrefois colonisés.

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Référence

Peyrat, David, 2023, «Fac-similé: exposées à New York et répliquées dans leur Périgord d’origine», Géo Histoire 70, juillet-août 2023.

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Photographie d’illustration: 12019 pour Pixabay.com