La communication publicitaire de cette institution déguise en nouveauté une régression sans précédent de l’offre culturelle. Et en inclusion un mépris profond envers ces grands enfants que ses responsables voient dans les personnes en situation de handicap. Indigne!

 

Depuis le point de vue du spectateur (vue subjective), gros plan sur deux mains d'hommes tendues vers l'avant et menottées, en noir et blanc, sur fond blanc.

 

Après plusieurs années de fermeture de sa «Galerie tactile», le musée du Louvre a annoncé, en septembre 2023, l’ouverture d’un «Espace de découverte de la sculpture». Son communiqué de presse a été abondamment repris, avec quelques variantes mineures, par l’Agence France Presse, France Info, France Télévisions et de nombreux réseaux associatifs. Ci-dessous, nous confrontons ce texte de propagande avec notre expérience de visite des 1er et 3 décembre 2023.

Que signifie «un nouveau lieu»?

Il faut d’abord pouvoir se rendre dans cet «Espace», que le sous-titre du communiqué proclame «accessible à tous». Son emplacement exact, «aile Denon, niveau -1, salle 161», n’apparaît qu’une seule fois, en petits caractères, en marge du titre. Au point qu’il n’est jamais mentionné dans les textes dérivés, et que de nombreuses personnes ont compris qu’il s’agissait d’un lieu différent de l’ancienne «Galerie», ou même d’un espace supplémentaire. Nous n’en avons pas non plus trouvé trace dans la signalétique du musée, et le personnel des deux premiers points d’information auxquels nous nous sommes adressés n’avait aucune idée de son existence.
Avec le sourire, nous avons signalé cette bizarrerie au troisième point d’information, où l’un des agents d’accueil nous a répondu: «pourtant, tout le monde est au courant!», et sa collègue: «vous avez raison, personne ne sait». En toute bonne foi, ils nous ont envoyés buter sur une porte close, car eux-mêmes ignoraient que «l’Espace de découverte de la sculpture n’est pas accessible en visite libre le vendredi». Ce renseignement figure en page 8 du communiqué, dont l’essentiel est concentré sur les pages 1 et 2, tandis que la page 3 détaille diverses animations temporaires, et que les pages 4 à 7 présentent une série de photos.
Nous étions le vendredi 1er décembre. Nous sommes donc revenus le dimanche 3!

Qu’est-ce que «réinventer»?

La réponse du Grand Robert est la suivante: «Inventer de nouveau, en retrouvant une chose oubliée ou perdue, en lui redonnant une valeur nouvelle… […] Locution figurée. Réinventer la roue: repartir de zéro sans tenir compte de ce qui existe, faire un travail inutile en croyant innover». Comment appliquer cette définition à l’affirmation du Louvre que «l’Espace de découverte de la sculpture réinvente la Galerie tactile, lieu emblématique de l’accessibilité muséale créé dès 1995 au sein du département des Sculptures. La présentation de reproductions d’œuvres destinées à être touchées […] a caractérisé cet espace dès sa création»?
Nous donnons acte aux concepteurs que le sens ne peut pas être «faire un travail inutile», car presque tous les éléments de cette scénographie «pédagogique» donnent effectivement «des clés de compréhension» pour une toute première «découverte de la sculpture», restreinte à certaines activités de façonnage et à quatre fonctions mondaines. Mais le Louvre peut-il sincèrement «croire innover» en ajoutant quelques bonnes idées au quatrième volet de l’exposition «Prière de toucher», qui circule dans les métropoles françaises depuis 2017 et dont il était partenaire à l’origine?
Nous, usagères et usagers, avons «perdu» depuis de longues années la «Galerie tactile». Mais nous n’avons pas «oublié» qu’elle nous a permis de connaître et, souvent, d’admirer près d’une centaine de reproductions de grande qualité au fil de ses thématiques successives. Et nous ne la «retrouvons» ni en quantité, ni en originalité, dans les cinq maigres objets offerts à la contemplation par cet «espace», dont la vocation est totalement différente et ne peut pas prétendre «redonner une valeur nouvelle» au précédent. À moins qu’il ne s’agisse de «repartir de zéro sans tenir compte de ce qui existe» ailleurs, et qui a existé ici pendant plus de vingt ans? Dans ce cas, ce serait la politique d’accès aux œuvres qui aurait été «oubliée ou perdue» par un des plus grands musées du monde!

Où sont les millénaires d’histoire de la «sculpture» en tant qu’art?

Ce qu’on peut «découvrir» dans ce qu’il serait plus honnête d’intituler «espace pédagogique», ce sont quelques réponses aux questions «en quoi sculpter?», «comment sculpter?» et «pourquoi sculpter?». La première section présente quatre versions du même buste anonyme en terre cuite, en bois, en bronze et en marbre. La dernière section est illustrée par un document historique (le masque mortuaire de Napoléon Ier) et… trois œuvres:

  • Daniel et les lions, extrait d’un chapiteau de l’église Sainte Geneviève de Paris,
  • une statue équestre de Louis XIV
  • et une allégorie de l’Amour menaçant.

Ces reproductions sont censées «inviter le public à découvrir, comprendre et apprécier la sculpture du Moyen Âge au XIXe siècle«, mais où la trouverons-nous? Apparemment, soit dans nos souvenirs, soit en parcourant le monde avec l’espérance que les autres musées se montrent moins chiches! Les concepteurs prétendent «garanti[r] un accès universel aux collections», mais de quelles collections parlent-ils? Raffinement d’humour noir: le livret Les Chefs-d’œuvre du Louvre, qu’on nous a aimablement proposé au point d’information, s’ouvre sur le dessin en relief de deux des statues les plus connues du musée, la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace, dont tant d’adaptations (de qualité variable) circulent dans le commerce…
C’est dire que même l’objectif plus modeste de «permet[tre] à des publics non-voyants et malvoyants de se constituer des repères formels et stylistiques» paraît bien éloigné.

Quelle «inclusion»?

Le communiqué égrène enfin les éléments de langage du discours officiel sur la diversité des publics et les «outils de médiation adaptés aux spécificités de chacun»: «cartels en braille» et «ligne de guidage» pour les personnes déficientes visuelles, «parcours en langue des signes française» pour les personnes déficientes auditives, «hauteur […] adaptée au jeune public et aux visiteurs à mobilité réduite». Les handicaps cognitifs ne sont pas mentionnés, mais on peut supposer que certaines propositions sont susceptibles de leur correspondre: «moulages à toucher, matériaux à manipuler, récits sonores, animations visuelles, etc.»
L’«accès universel aux collections» d’un des fleurons de la culture en France se réduirait donc à trois œuvres perdues dans un espace de «80 m²» dont la localisation et les horaires d’ouverture sont difficiles à trouver? Cela ne relève-t-il pas plutôt de la ghettoïsation?
Pas tout à fait puisque, pour ses concepteurs, «cet espace vient en complément d’autres dispositifs déjà existants au cœur du musée»: concernant le toucher, l’improprement nommé «parcours en braille dans le département des Arts de l’Islam» et les «dispositifs tactiles dans le Louvre médiéval». Cet embryon d’offre tendant vers l’inclusion ne serait pas rien pour un musée local, mais est-il proportionné aux richesses d’un établissement de renommée mondiale?

Pour une conception plus ambitieuse, lire
musée d’Aquitaine
et notre article Venez toucher au musée IV.

Consulter la présentation du Louvre en copiant dans un navigateur https://presse.louvre.fr/lespace-de-decouverte-de-la-sculpture.

Photographie d’illustration: KlausHausmann pour Pixabay.com