En 2010, l’anthropologue Clémence Martin proposait une synthèse accessible de son travail de doctorat sur les compagnons tailleurs de pierre. Elle y discute notamment le Rôle du langage dans l’enseignement manuel et l’importance des différents systèmes sensoriels pour le contrôle du geste.
L’article argumente d’abord en faveur d’une complémentarité pédagogique entre l’observation des gestes du maître, l’expérimentation personnelle et les consignes langagières. Si «le savoir technique reste avant tout contenu dans le corps», incorporé (page 157), l’enquête montre que les apprentis «sont animés d’un fort sentiment d’incompréhension» face à l’inadaptation des verbalisations de leurs maîtres (page 160). L’un d’eux s’indigne: «les maîtres, je suis sûr qu’ils le font exprès de rien nous dire, de rien nous expliquer… La preuve, c’est que quand moi je leur demande de m’expliquer comment faire, eh bien ils se contentent de me dire ce que je dois faire! Qu’est-ce que ça m’explique, ça?» (page 159).
D’ailleurs, à l’inverse, «les maîtres, dans le cadre de leur enseignement, les poussent à décrire les sensations dont ils font l’objet pendant leur activité» (page 165) et, «bien qu’ils ne soient pas au fait des subtilités sensorielle dont le corps fait l’objet, il est frappant de constater que les apprentis sont capables de verbaliser finement ces dernières» (page 164).
Clémence Martin montre ensuite la nécessaire coopération de quatre perceptions au moins: à côté de la vue, le tailleur de pierre doit être attentif au son que rend le matériau travaillé, à la vibration que l’outil transmet à sa main, et à la sensation proprioceptive et kinesthésique de son corps en action. Il y a même un mot, le biais, pour désigner cette combinaison sensorielle dans le vocabulaire professionnel des tailleurs de pierre: avoir le biais, c’est «comprendre par le “son” (le feedback vibratoire et auditif) ce que dit le caillou» (page 166). La fin de l’article en apporte une autre preuve avec les différences perceptives et gestuelles qu’implique le passage des outils manuels à l’appareillage mécanique.
Le lecteur doit cependant rester attentif au fait que la première et la troisième parties utilisent la terminologie propre au langage (bilinguisme, vocabulaire, grammaire, etc.) de manière métaphorique. La seconde partie justifie ces métaphores par leur présence dans les discours des maîtres compagnons et des apprentis eux-mêmes.
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