Le blog du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse a publié le carnet de route d’une série d’ateliers aboutissant à la maquette d’un livre tactile illustré à la fois didactique et ludique. Ce travail a réuni, autour d’enfants déficients visuels, des médiateurs du Muséum, des concepteurs de la maison d’édition Les Doigts Qui Rêvent et des universitaires de deux laboratoires de recherche.

 

Deux mains se posent sur la couverture de l'ouvrage Les petits explorateurs tactiles au Muséum ; l'ensemble est vu d'en haut comme si nous nous trouvions à la place du lecteur. Le design de l'illustration de couverture est assez graphique et rassemble plusieurs types de plantes et fleurs sur des aplats de couleurs

 

Développé de 2016 à 2018, ce programme aboutit aujourd’hui à la parution des Petits explorateurs tactiles au muséum aux éditions Les Doigts Qui Rêvent. Cet album est né de deux constats: l’absence de livres tactiles sur les sciences naturelles et le fait que les quelques ouvrages existants ne font que reproduire en relief des contenus visuels. Pour garantir un résultat adapté aux besoins du public, la maquette du livre a été conçue selon une démarche participative avec une quinzaine d’enfants de l’Institut des Jeunes Aveugles (IJA) de Toulouse. Le travail a été accompagné par des chercheurs du Laboratoire du Développement Sensori-Moteur Affectif et Social (SMAS) de l’Université de Genève, en partenariat avec le Laboratoire Cognition, Langues, Langage, Ergonomie (CLLE-LTC) de l’Université Jean-Jaurès de Toulouse, afin de vérifier la compréhension des contenus par les utilisateurs.
L’objectif final était la création d’un ouvrage accessible à tous, voyants ou non-voyants, donnant à percevoir les «disciplines incontournables de tous les muséums», via des objets de conservation du Muséum de Toulouse qu’on ne peut pas ordinairement toucher: botanique, zoologie, ethnologie, géologie, paléontologie, préhistoire. Chaque discipline devait être illustrée par un objet à découvrir en réalisant soi-même des manipulations ludiques: cueillir (botanique), observer (zoologie et ethnologie)), extraire (géologie), creuser (paléontologie), dégager (préhistoire).
Trois phases de travail avec les enfants
Grâce à de nombreux exemples, y compris le relevé de certaines paroles des jeunes participants, on suit l’ensemble du processus d’élaboration. À chaque atelier, il y a aller-retour entre le projet des adultes et les propositions des enfants. Ainsi, chaque objet représentant une des disciplines a été choisi entre deux possibilités après une phase de découverte autonome et une phase d’exploration guidée par les adultes: le quartz a été préféré au talc pour la géologie, le biface à la mâchoire d’ours des cavernes pour la préhistoire, etc. Dans ces deux cas, on constate que les adultes auraient peut-être privilégié la diversité, alors que l’intérêt des jeunes est allé vers des propriétés assez proches: matériaux durs, surfaces lisses et bords effilés. Ce premier temps a permis de «récolter des données sur les procédures exploratoires et les analogies de forme, taille, texture, température…» qu’elles suggèrent aux enfants.
Dans un second temps, les jeunes ont été séparés en deux groupes pour créer des illustrations et les faire découvrir aux autres, d’abord en autonomie, puis en jouant le rôle de médiateurs. Cette phase a fait «émerger des questionnements sur l’objet figuré et son rapport avec l’original». Les enfants ont argumenté les formes et les matières retenues pour représenter chaque objet sélectionné. Dans le cas du quartz, «il faut une matière qui pique et qui brille», d’où le choix, lors de l’atelier, de papier cartonné pour faire une forme triangulaire, d’y insérer du plastique pour donner les sensations de lisse, dur et pointu, et des paillettes pour celle de brillant.
Dans un troisième temps, les enfants ont testé les maquettes de pages conçues par la maison d’édition. Certains ont montré des difficultés à trouver les manipulations proposées. D’autres ont fait des suggestions telles que: «La nature est plus désordonnée, la nature n’est pas tout le temps droite». Une fois le prototype du livre stabilisé, une dernière évaluation a été organisée avec les jeunes participants du programme et avec d’autres élèves déficients visuels qui l’ont découvert à cette occasion : elle a permis les ultimes modifications. Dès lors, l’auteure Anne-Sophie Baumann a pu peaufiner la part fictionnelle de l’album à partir des contenus scientifiques formulés par les spécialistes du muséum.

Pourquoi la conception universelle et participative?

La conception universelle consiste, en l’occurrence, à «mettre en avant certaines expériences particulières des enfants aveugles mais qui sont communes et porteuses pour tous les enfants, accessibles à tous»: elle vise un «outil de médiation qui met en valeur les autres sens en même temps qu’il crée un univers de partage entre voyants et non-voyants». Or, dans leur Guide pour concevoir des livres multisensoriels accessibles à tous, les universitaires associés au projet indiquent, au contraire des idées reçues, que «les doigts des aveugles ne sont pas des yeux qui leur donneront d’emblée accès à un monde régi par la vue» (page 19.
Quand on se contente d’ «une simple démarche de transfert du visuel vers le tactile» (même page)), «des erreurs d’interprétation […] surviennent en raison d’un manque de familiarité avec les conventions visuelles» (page 16). En particulier, la mise en saillance des lignes d’un contour est plus difficile à reconnaître que la mise en relief de l’ensemble d’une figure, elle-même moins suggestive que la technique du collage de textures différentes pour chacune des parties d’un tout.
Les Petits explorateurs tactiles au muséum présente un bel exemple de collage de textures pour la représentation du corbeau freux illustrant la zoologie: plastique dur pour le bec, perle pour l’œil, velours pour le corps, plume pour l’aile et papier émerisé pour les pattes. Les cinq autres objets sont des miniatures en trois dimensions, suffisamment planes pour s’insérer entre deux pages. En revanche, en raison du coût et de l’encombrement, les dispositifs à manipuler projetés pendant les ateliers n’ont pas été retenus pour la publication, qui n’aurait plus été un livre, mais un coffret de jeu.
Tout l’intérêt de la démarche participative est d’amener intuitivement les médiateurs à «comprendre que nos représentations de voyants ne sont pas la seule représentation possible et que l’univers des images n’est pas accessible qu’aux voyants. Il nous faut, avant tout, briser le rapport instantané que nous établissons entre image et vision» (page 18). C’est ce parcours de déconstruction et de reconstruction que retracent, chacun à sa manière, le blog du muséum et le guide des laboratoires associés au projet.

Références

Baumann, Anne-Sophie, 2020, Les Petits explorateurs tactiles au muséum, Tallant-Dijon, Les Doigts Qui Rêvent.
Cabot, Peggy, Donavy, Cécile et Laurent, Yves, 2018, livre tact’illustré: création d’un ouvrage accessible à tous, voyants et non-voyants, https://livretactillustre.tumblr.com.
Valente, Dannyelle, Bara, Florence et Gentaz, Édouard, 2018, UN GUIDE POUR CONCEVOIR DES LIVRES MULTISENSORIELS ACCESSIBLES À TOUS AVEC LA MÉTHODE DU DESIGN PARTICIPATIF, https://www.unige.ch/fapse/sensori-moteur/files/8715/4106/9114/GUIDE_PRATIQUE_3-IMPRESSION.pdf.
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Lire
Le blog du, muséum de Toulouse,
Le guide de l’Université de Genève.
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Le podcast de l’OCIM.

Photographie d’illustration: couverture officielle de l’ouvrage « Les Petits explorateurs tactiles au Muséum »