La plasticienne Prune Nourry, 36 ans, poursuit son travail autour du corps. «Projet Phénix», du 4 septembre au 23 octobre 2021: galerie Daniel Templon, 30 rue Beaubourg, Paris 3e (métro 11, station Rambuteau), du mardi au samedi, 10h-19h, accès libre.

 

Composition artistique par technique de stop motion: sur un fond de ciel étoilé de montagne, des prises successives d'images accolées forment une composition abstraite rendue  possible par le mouvement d'un bâton enflammé  dans l'air. L'effet est un tourbillon de feu, qui semble voler dans ce ciel.

 

Prune Nourry «a invité huit personnes déficientes visuelles à venir poser dans son atelier; travaillant les yeux bandés, sans jamais voir ni avoir vu ses modèles, elle a réalisé leurs bustes, simplement par le toucher, en conversant avec eux pendant les séances de pose».
Elle explique ainsi le titre de son exposition à Laurent Boudier, pour Télérama: «ce sont des aveugles qui ont sublimé leur handicap. […] J’ai modelé les bustes à l’argile, les ai moulés et les ai cuits selon la technique ancestrale japonaise dite du raku, qui consiste à plonger la sculpture brûlante dans la cendre dès la sortie du four. Tel un phénix surgissant de ses cendres, chaque portrait contient ainsi la métaphore d’une renaissance». «L’artiste a décidé que les visiteurs seront, eux aussi, plongés dans le noir et ne pourront découvrir ses sculptures qu’en les palpant».
Prune Nourry précise à Laetitia Cénac (Madame Le Figaro): «lors de l’installation de mon armée de Terracotta Daughters (inspirées des célèbres soldats de Xi’an, NDLR) à New York, en 2014, j’ai rencontré une jeune femme qui s’occupait de l’accessibilité des espaces publics aux personnes aveugles. Grâce à elle, les visiteurs ont pu toucher les sculptures, et une partie des cartels était écrite en braille. Depuis, le toucher est devenu une partie essentielle de mes expositions. Cette notion a pris plus d’ampleur avec le Covid, l’isolement, les gestes barrière, etc.».

Notre avis


Le dispositif matériel est tout à fait remarquable: au lieu de bander les yeux des visiteurs (ce qui n’est pas naturel et peut s’avérer oppressant), l’exposition est isolée de la lumière par une série de quatre rideaux occultants ; chacun-e se guide ensuite grâce à une corde sur laquelle des nœuds signalent l’emplacement des bustes. Il suffit alors de faire un quart de tour sur soi-même et d’avancer d’un pas pour trouver la sculpture, puis de reculer d’un pas pour retrouver la corde et progresser dans le parcours. Des distributeurs de gel hydroalcoolique sont bien sûr disponibles aux deux extrémités.
Le projet esthétique et sensible apparaît d’une très grande cohérence, puisque les bustes ne peuvent jamais être vus. Le court métrage diffusé dans l’espace suivant (et consultable ci-dessous) montre que les modèles ont pu toucher leur portrait en cours d’élaboration et, dans un beau geste de confiance réciproque, effleurer le visage de l’artiste. Ce second espace offre une jolie surprise avec l’accrochage de deux représentations des mains des modèles: leur empreinte en métal et leur gaufrage sur papier.
Cette cohérence même risque cependant d’affaiblir le message sociétal, car la contemplation manuelle peut être interprétée comme une démarche solidaire de l’artiste et des visiteurs provisoirement empêchés de voir, plutôt que comme le projet esthétique de «créer des choses qui parlent aux mains» (selon l’expression d’Éric Meuwes). Au contraire de la pertinence tangible des Paysages tactiles de la galerie Mémoire de l’avenir au printemps dernier, le toucher semble ici une spécificité des aveugles plutôt qu’une des ressources sensorielles propres à tout un chacun, que la société actuelle nous enjoint de censurer.
Dans son dialogue avec Prune Nourry, une des modèles constate: «quand on devient aveugle, On n’ose pas toucher, on se restreint le toucher, parce qu’en fait, dans la vie courante, le toucher est quand même tabou». De fait, les huit participants évoquent surtout la peur accompagnant la perte de la vue et les moyens de compenser cette perte. On voudrait en apprendre davantage sur les potentialités qu’ils développent et les ressentis positifs qu’ils en obtiennent. «Projet phénix» lutte ainsi très concrètement contre la ghettoïsation du toucher, mais de manière sans doute moins efficace contre son rejet dans l’altérité.
Consulter le film de Vincent Lorca et Prune Nourry sur le site de la Galerie Templon.
Lire l’article de Madame Le Figaro.
Écouter l’interview de Prune Nourry par Raphaëlle Le Baud pour thecraftproject.

 

Photographie d’illustration: Théo Bertrand, don de l’artiste.