«Jusqu’au XIXe siècle, la détection des fausses monnaies a reposé sur les sens, plus ou moins outillés. Les historiens redécouvrent aujourd’hui l’efficacité de ces techniques ancestrales». C’est ce que montrent deux spécialistes dans le mensuel L’Histoire de mai 2022.
Patrice Baubeau est enseignant-chercheur en histoire, et Arnaud Manas, chef du Service du patrimoine historique et des archives de la Banque de France. Ils rappellent que «la détection de la fausse monnaie implique d’apprécier son aspect, son poids, ses dimensions et enfin sa teneur en métal précieux. Depuis l’Antiquité, c’est donc sur les sens (la vue, le toucher et l’ouïe) qu’a reposé la détection des fausses monnaies». Nous ajoutons à leur présentation quelques précisions linguistiques et sensorielles.
Comparer visuellement la pièce et le «touchau» grâce à la pierre de «touche»
Comme souvent, la vue est la plus rapide et semble la plus sûre. Mais le «frai», qui a la même étymologie que frottement et friction, désigne l’effacement que la circulation cause aux gravures, ce qui complique leur identification et «facilite le travail du contrefacteur». «Quant à se servir de la couleur de la pièce pour déterminer la nature du métal, cela nécessite, plus que les autres épreuves, un solide professionnalisme», car elle «varie selon les alliages». C’est la question du bon ou du mauvais «aloi», qui a la même étymologie qu’«alliage», ou du «titre», au sens de «proportion» de métal précieux que celui-ci contient.
«Utilisé depuis l’Antiquité», le touchau est, selon le Grand Robert, un échantillon de «petites plaques d’alliages d’or ou d’argent de titres différents, disposées sur un support en étoile». La pierre de touche est un «fragment de jaspe utilisé pour éprouver, essayer l’or et l’argent» (même source). Les deux chercheurs indiquent que l’essai «consiste à comparer la fine couche laissée sur sa surface, très légèrement abrasive, par la pièce suspecte avec celle laissée par [le] touchau, dont l’essayeur connaît la composition exacte. Mais ce procédé n’est efficace que pour les objets composés d’un alliage homogène d’or, d’argent et de cuivre». Nous soulignerons que «toucher» signifie en l’occurrence le contact des métaux avec la pierre, et non le tact de l’essayeur, dont la perception est visuelle.
Monnaie trébuchante
«Dès le VIe siècle, mais il y a des exceptions, les pièces ont pris la forme de disques de plus en plus réguliers, définis par un diamètre et une épaisseur. Aussi, en comparant ces deux dimensions à une pièce authentique, était-il possible de rapporter aisément masse et volume de manière tout empirique». Le toucher peut alors interagir avec la vue, ou même se substituer à elle. «Cette technique se perfectionne avec l’apparition au Moyen Âge d’un listel», bande saillante, souvent ouvragée, qui borde de nombreuses pièces. Les auteurs indiquent seulement que cela «permet de les empiler de manière régulière», ce qui facilite la comparaison. Nous ajouterons que, plus récemment, la circonférence a été travaillée pour être distinctive, comme l’attestent aujourd’hui la gorge des pièces de 2 centimes, les cannelures rapprochées sur celles de 10 et 50 centimes, les crans espacés sur celles de 20 centimes, ou les groupes de stries rythmant le pourtour des pièces de 1 et 2 Euros.
Les différences de poids sont spécifiquement tactiles. Quand elles ne sont pas assez perceptibles, «la balance offre dès l’Antiquité une haute précision, de l’ordre du 1/10e de gramme». Au Moyen Âge, à partir du verbe trébucher, au sens de dépasser son centre de gravité, le nom «trébuchet» a désigné différents engins techniques comme des cages à bascule pour piéger les petits oiseaux, des machines de guerre pour lancer des pierres contre les murailles, ou la «Petite balance à plateaux pour les pesées délicates» (Grand Robert). Cette pratique a donné au verbe le sens de faire pencher la balance ou de peser une pièce: un écu «trébuchant» ou une piastre «trébuchante» signifiaient qu’ils avaient le bon poids.
Monnaie sonnante
«Ces mesures diverses, recourant à la vue et au toucher, ne suffisent pas lorsque les pièces combinent habilement plusieurs couches de métaux nobles (qui déterminent la valeur de la pièce) et vils (qui complètent l’alliage). C’est alors le son qui permet d’estimer la qualité d’une pièce, en particulier [de savoir] si elle est “saucée” (une lentille de métal vil couverte d’une fine couche de métal précieux) ou “fourrée” (une lentille de métal vil au cœur d’une pièce de métal noble). Ce moyen accessible à tous repose là encore –sauf pour les rares personnes jouissant de l’oreille absolue– sur la comparaison. Néanmoins, cela suppose une grande qualité de réalisation des pièces authentiques», au point qu’«au cours du XIXe siècle les grands hôtels des monnaies font du défaut de sonorité un motif de refonte des espèces fautées».
La course-poursuite entre faussaires et émetteurs officiels a abouti, au XXe siècle, à «l’apparition, pour la première fois dans l’histoire de la monnaie, de signes de sécurité inaccessibles aux sens ordinaires: points secrets sur les billets de la Banque de France, caractères lisibles sous la lumière ultraviolette, bandes magnétiques. Ainsi les anciennes techniques de vérification sensorielle ont laissé place à des technologies de plus en plus perfectionnées. Mais les sens n’ont pas totalement disparu. La science de ce début du XXIe siècle confirme, a posteriori, l’extrême efficacité des techniques sensorielles utilisées depuis l’Antiquité. Et, encore aujourd’hui, la Banque centrale européenne enjoint au porteur de ses billets de les “toucher, regarder, incliner”, et donc de se fier à ses sens». Mais les auteurs n’en disent pas plus sur le papier-monnaie.
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Photographie d’illustration: TrykropkiCOM pour Pixabay.com
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