Les anthropologue Cathy Rolland et Marc Cizeron inventorient les fonctions des mains des entraîneur(e)s lors d’exercices de haut niveau. Ils mettent en évidence l’alternance dynamique entre discours, actions et perceptions (visuelles, kinesthésiques et tactiles).
À lire les manuels de la Fédération Française de Gymnastique, le métier d’entraîneur(e) consisterait à évaluer visuellement les performances des athlètes et à leur adresser verbalement des appréciations et des consignes pour améliorer la réalisation de leurs figures sur la poutre, les diverses barres ou les anneaux. L’observation ethnographique révèle la variété des interventions de leurs mains, qu’on peut classer en quatre catégories.
En premier lieu, les entraîneurs utilisent leurs doigts, la paume et le dos de leurs mains (voire leurs avant-bras et leurs bras) pour mimer le corps des gymnastes et représenter les mouvements qu’ils leur expliquent. En second lieu, au début de l’apprentissage, «ils les manipulent en touchant, appuyant, tirant, poussant certaines parties de leur corps» (page 3), ils les portent, «les tiennent dans des déplacements, les maintiennent dans des positions» (page 6), accélèrent ou ralentissent leurs mouvements (page 23), aussi bien pour aider à la réalisation que pour prévenir les accidents.
Ces interventions manuelles en cours d’exercice permettent aussi aux entraîneurs de sentir ce que font les gymnastes afin de leur prescrire des régulations techniques (page 14), puis de mettre en mots les expériences corporelles associées à des essais réussis (page 22): «Les mains écoutent les résistances des corps à se déplacer, décryptent leurs fonctionnements synergiques» (page 17), perçoivent «leur tonicité et leurs relâchements, leur élasticité, les degrés de liberté des mouvements» (page 33).
Enfin, l’action des mains peut devenir symbolique: au fil de l’apprentissage, leur engagement est de moins en moins intense et concret, et elles en viennent à servir de point de repère dans l’espace, que le corps du gymnaste doit atteindre ou au contraire éviter en exécutant son mouvement. Les auteurs préfèrent revenir en fin d’article sur la fonction de mime, qui serait l’aboutissement d’un parcours d’abstraction, de la main outil à la main symbole. On remarque cependant que cette fonction est déjà présente en début d’apprentissage, et qu’elle peut être considérée comme une application particulière de la gestualité à l’œuvre dans toute communication interpersonnelle. Quoi qu’il en soit, ce travail apporte de nouvelles preuves de la coopération permanente entre les systèmes sensoriels, et de l’interaction dynamique entre geste, perception et langage.
Lire l’article sur ethnographiques.org.
Commentaires récents