Dans The Conversation, Mario Carta (Université de Bordeaux) reformule pour le grand public la découverte collective du traitement spécifique de la température par la peau et par le cerveau. Et pourtant… c’est en touchant ou en étant touchés que nous la ressentons.

 

De profil, une femme en tenue indonésienne (sari et tête voilée, tissu coloré et décoré de fleurs) applique ses lèvres sur une glace, dans un mouvement de succion. L'emballage du yaourt glacé fait office de cornet.

 

Une équipe internationale, dont fait partie Mario Carta, vient de publier dans la revue de référence Nature ses découvertes sur la perception de la température par les souris, transposables à l’espèce humaine. Les quatre auteurs rappellent qu’«en 1882, Magnus Blix a démontré que notre peau contient des “points” spécialisés, qui sont sensibles à la température et peuvent être activés sélectivement par le froid ou le chaud». En 2021, David Julius a reçu le prix Nobel de physiologie-médecine pour ses découvertes sur «les composants moléculaires de ces “points” sensibles à la température, où des protéines hautement spécialisées réagissent à des changements de la température environnementale, même subtils».
Du côté du cerveau, «tandis que nous savons bien quelles zones du cortex encodent la vision, le toucher, le goût et l’audition, les régions corticales dédiées à la perception de la température restaient jusqu’à présent largement inconnues». Les auteurs viennent de montrer qu’«il existe bien une zone du cerveau qui intègre les informations que notre corps envoie sur la température, le “cortex thermique”»: elle ne se trouve pas dans le «cortex somatosensoriel primaire», mais «dans une région située sur le côté du cerveau», le «cortex insulaire postérieur». Là, «certains neurones réagissent au refroidissement, d’autres au réchauffement, et enfin il y a aussi de nombreux neurones qui réagissent à la fois au refroidissement et au réchauffement».
Plus précisément, «les neurones chauds et froids s’activent de façons très différentes: les froids s’activent plus rapidement et s’éteignent plus tôt que les chauds. Ces résultats suggèrent qu’il pourrait y avoir des voies distinctes pour la perception des températures froides et chaudes». D’autre part, «les neurones chauds réagissent à la température absolue, tandis que les neurones froids réagissent aux changements relatifs de température. Cette observation pourrait suggérer que notre système thermique est adapté pour détecter et prédire quand les températures deviennent dangereusement chaudes pour le corps, ce qui permet d’éviter les brûlures».

Articulations entre température et toucher

Du point de vue de l’exactitude physiologique, il est important de distinguer les capteurs, les transmetteurs et les zones de traitement des informations. Les auteurs soulignent donc que «les points cutanés sensibles à la température sont anatomiquement et fonctionnellement distincts de ceux qui sont impliqués dans la perception du toucher». Ils montrent que cette distinction existe également dans le cerveau et, même, qu’elle sépare le chaud et le froid, ainsi que les températures douloureuses et non douloureuses.
Faut-il donc renoncer à articuler sous le nom de «toucher» le précieux éventail des sensations, il est vrai très diverses, que la peau nous permet de recueillir? Nous ne le croyons pas. Le premier argument est d’ordre stratégique: les recherches sur les perceptions cutanées sont peu nombreuses et peu audibles parce qu’elles constituent de minuscules sous-ensembles à l’intérieur des différentes disciplines académiques: physiologie, psychologie, anthropologie, ergonomie, robotique, etc. Elles deviendront encore plus difficiles à valoriser si, au nom de telle ou telle fibre nerveuse spécifique, on émiette le toucher en sens de la vibration, sens de la caresse, sens de la démangeaison, etc. Les jurés du prix Nobel ne s’y sont pas trompés, en couronnant conjointement des «travaux sur les récepteurs de la température et du toucher» qui ont «permis de comprendre comment la chaleur, le froid et la force mécanique peuvent initier les impulsions nerveuses qui nous permettent de percevoir et de nous adapter au monde» (relire l’article du Huffingtonpost).
Le second argument, méthodologique, et le troisième argument, phénoménologique, sont intimement liés: du point de vue du vécu des phénomènes, ce qui est opératoire et pertinent est la propriété (plus ou moins chaude ou froide), sa localisation sur tel point de la peau et, par-delà, son interaction avec d’autres propriétés tactiles, que la physiologie ne parvient pas encore à expliquer. Un exemple comparable et mieux étudié est la perception gustative, dans laquelle les saveurs se combinent aux informations de l’arrière du nez, aux textures, aux consistances et aux températures, justement, pour construire l’effet en bouche des aliments.
Mario Carta admet implicitement l’importance de ces interactions, puisqu’il introduit son article par cinq situations concrètes, dont quatre dans lesquelles la peau et le cerveau perçoivent conjointement la température et d’autres propriétés. De fait, si on se focalise sur son visage, on peut dire qu’on perçoit seulement «la chaleur brûlante quand on ouvre le four chaud». En revanche, quand un adulte pose sa main sur le front d’un enfant, il en perçoit aussi la moiteur ou la sécheresse, et le grain de la peau. Dans «le plaisir de tenir les mains de nos proches», s’y ajoutent le moelleux ou la fermeté de leur structure, la raideur ou la souplesse de leur geste, ainsi que la sensation d’envelopper et/ou d’être enveloppé(e) (selon les proportions de taille entre les mains). Enfin, «la fraîcheur d’une glace» va de pair avec sa visco-élasticité, et «le vent glacial» avec la force de sa pression sur notre peau.

Pour des approfondissements philosophiques, consulter Massin et Monnoyer et Bani Sadr.

Lire l’article sur The Conversation.

Photographie d’illustration: Wahyucupito7grafi pour Pixabay.com