Preuves à l’appui, Benoît Grison démontre que l’être humain et ses sens ne constituent pas un sommet de l’évolution car, chez les animaux, c’est une dizaine de sens distincts qui sont mis à contribution. Allons à la découverte de ces champions de la perception…

 

En gros plan, une trompe d'éléphant tâte un sol en pierres dans un mouvement de succion, de manière à identifier un petit morceau de pain et à s'en emparer.

 

C’est avec un grand plaisir et beaucoup d’amusement que j’ai lu cet ouvrage qui allie les observations les plus savantes avec un humour désopilant, concrétisé par les illustrations d’Arnaud Rafaelian. Mon premier étonnement a été de ne pas retrouver nos cinq sens habituels dans sa classification: «molécules et perceptions» pour la communication chimique, «good vibrations» de l’oreille et du tact, perception des champs électromagnétiques, «synesthésie» (sens du mouvement et perception corporelle), «sentience» pour la conscience de la douleur et, pour la vision, une référence à l’œil de Lyncée (Argonaute qui, dans la mythologie grecque, voit à travers les nuages) pour évoquer les super pouvoirs de bien des animaux dans ce domaine. Bien sûr, je n’évoquerai ici que ce qui concerne le toucher.
L’auteur explique que «l’audition, la sensibilité corporelle aux vibrations et le toucher se situent dans un même continuum évolutif». L’exemple qu’il nous en donne est l’émission d’infrasons chez les éléphants, leur permettant de communiquer à plus de 10 km de distance. Ces infrasons «aident les membres dispersés d’une même fratrie à se regrouper périodiquement et contribuent à la cohésion sociale». Pour les produire, ils soufflent tout en faisant vibrer leurs cordes vocales. Ces infrasons, allant jusqu’à 100 décibels, se transmettent aussi par le sol. Le marteau, qui est l’osselet intermédiaire de l’oreille moyenne, joue un rôle crucial dans leur détection.
Chez les arthropodes, les crustacés et beaucoup d’insectes, le toucher est assuré par des soies, des poils sensoriels réceptifs aux vibrations du milieu, disposés sur le corps. C’est le cas des araignées filandières, qui «ne s’appuient que sur la perception des vibrations par le corps quand elles sont à l’affût des proies au centre de leur toile. À la surface de leur cuticule, ce sont des soies et aussi des fentes sensibles à des fréquences précises, qui les alerteront de l’arrivée de leur pitance… On peut aussi les faire réagir à un diapason, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles aient l’oreille musicale! Les tégénaires de nos maisons ont quant à elles des mœurs nuptiales fascinantes: avant de s’accoupler, le mâle se voit contraint d’exécuter une danse rythmée caractéristique sur la toile de la femelle, pour éviter toute confusion fatale avec une proie».
Plusieurs espèces de chauves-souris «contrôlent leur vitesse de vol en captant des informations sur les flux d’air grâce à leurs poils […] qui jouent le même rôle vibrotactile que les moustaches du chat, souris et autres “bêtes à poils” à activité nocturne». Tous ces exemples justifient le titre du chapitre, «un tact à fleur de poil».
À propos de «toucher et attachement», «la fréquence du comportement de léchage de leur progéniture par les mères n’a pas seulement affaire à une fonction de toilettage mais aussi à une interaction émotionnelle cruciale pour le développement des petits». Les souriceaux élevés en laboratoire, qui sont moins stimulés, atteignent un poids adulte moindre que ceux qui sont fréquemment manipulés. Le pseudo épouillage des singes (en l’absence de poux) suscite la libération dans le cerveau d’endorphines apaisantes qui consolident les liens sociaux positifs. Caresses et papouilles sont bénéfiques pour la maturation nerveuse et endocrinienne.
«Parmi les grands singes, le gibbon à mains blanches du Sud-Est asiatique est vraiment “l’athlète complet” du groupe. Grâce à ses bras démesurés, ce petit singe anthropomorphe se balance avec grâce et célérité d’arbre en arbre, pouvant atteindre des pointes de vitesse de 50 km/h environ! Adepte du saut en longueur aérien, il peut rallier d’un bond un arbre écarté d’une dizaine de mètres du précédent»… On comprend que ce lutin acrobate ait fasciné les peintres de nature et les poètes de l’ancienne Chine.
«Toutes ces prouesses acrobatiques seraient impossibles sans l’existence de dispositifs sensoriels présents dans l’oreille interne de tous les vertébrés terrestres. Ces capteurs spécialisés assurent en permanence à l’animal une stabilité dynamique». Ils sont localisés dans le vestibule de l’oreille interne, répartis dans l’utricule, le saccule et les canaux semi-circulaires. De petites concrétions calcaires, les otolithes, stimulent des cellules ciliées. Ce qui permet à l’animal de «mesurer les déplacements linéaires de son corps, de calculer les angles d’inclinaison de la tête par rapport à la gravité, de percevoir les rotations de la tête et du corps». Mais cela explique aussi le vertige ou le mal de mer…
C’est grâce aux organes de la proprioception que le guépard peut atteindre 100km/h quand il chasse une antilope tout en gardant une course précise et régulée. Les insectes possèdent aussi des propriocepteurs. Plusieurs espèces de fourmis vivant dans le désert possèdent un «podomètre kinesthésique».

Beaucoup d’exemples amusants, qui aident à la compréhension de phénomènes complexes: un vrai plaisir de lecture!
Nadine Dutier

Référence

Grison, Benoît, 2021, Les Portes de la perception animale</em >, Paris, Delachaux et Niestlé.

Photographie d’illustration: InsaPictures pour Pixabay.com