Cette plasticienne du tact et du contact a invité l’AFONT à tenir sa septième assemblée générale dans son atelier. L’occasion de découvrir une de ses créations récentes: les Walkphones, antidotes à l’interdiction des sorties supérieures au kilomètre au printemps 2020.

 

En gros plan, deux mains tiennent une des œuvres de l'artiste. La création est une coque de smartphone, rabat et attache ouverts. Sur le fond de la coque, en lieu et place du smartphone, des éléments en reliefs sont à toucher, sortes de corn-flakes en matière semblable à du cuir ou du tissu dense, avec des bords aux coutures un peu retroussées.

 

Le site internet de Marie-José Pillet a pour adresse touchant.free.fr: quel programme, où même le nom de l’hébergeur prend du sens! Une artiste chez qui et avec qui on serait libre de toucher en France… Elle y donne un aperçu de son parcours au gré des associations d’idées que lui inspire l’alphabet.
À l’entrée «Pi», elle résume ainsi son projet: «La peinture était morte en 1970 quand je suis rentrée à l’école des beaux-arts. J’ai voulu combler ce vide et créer un art touchant. Un art qui se touche réellement avec les mains et les pieds. Un art de tous les sens. D’autres voulaient supprimer l’art pour le réaliser dans la vie. Moi, j’ai voulu inverser l’éducation que l’on donne aux enfants. Ne plus toucher avec les yeux mais toucher avec les pieds et les mains. Je voulais faire un Art aveugle qui se touche de manière sensuelle. Quelque chose d’infini comme la valeur du nombre pi.»
Sous le titre «Touchant», elle affirme: «L’Art tactile ne peut être réalisé que par une femme». Espérons que cette vérité ne soit que provisoire. Elle précise, dans la section «Univers»: «L’univers de certaines femmes était le monde de la maison et de la cuisine. C’était un univers composé de mousse et de ressorts pour les matelas, de moquettes, de spontex, de serpillières, de tissus, de fils, d’éponges, de plumeaux, de verre, de bois, de cuivre, de métal et de tout ce qui me fascinait quand j’étais petite fille.»
Dans son atelier, Marie-José Pillet nous a donné à expérimenter nombre de ses créations de différentes périodes. Qu’elle veuille bien nous excuser de ne chroniquer que celles qui restent vives à notre mémoire, tant les sensations se sont bousculées au fil de cette heure de visite. On aura remarqué que l’artiste prend toujours soin d’associer les pieds et les mains, les mains et les pieds, auxquels il faut souvent ajouter les mouvements du corps. Déchaussés, nous avons ainsi pu
–boiter et souffrir (gentiment) sur les pavés de liège basculants de «Clopin-clopant» (1992),
–tanguer sur le matelas légèrement sous-gonflé de «Passage d’eau» (1997),
–rouler dans les centaines de boules légères de «Matière en éclats» (2007, laine, aluminium, papier bulles, fil de coton).

 

Seconde œuvre sur le même exact principe. Cette fois-ci, les éléments à toucher sont une multitude de petites particules dures et en longueur, qui s'apparentent à des lamelles de champignons séchées, des brindilles de bois flotté ou des petits os de rongeurs polis par le temps que l'on peut trouver en forêt.

 

 

«Walkphones»: parler à nos mains des sensations perdues de nos pieds

Pendant le confinement, Marie-José Pillet a détourné plusieurs dizaines de coques de téléphone portable en substituant à l’appareil une transposition pour les doigts et pour les paumes des textures et des consistances que ne pouvaient plus aller chercher nos plantes et nos orteils. Au revers, dans le viseur photographique «un mot indique une direction vers l’imaginaire»: nom de matière, comme le «sable», de situation perceptive, comme «froid et lisse», d’action sensorielle, comme «pénétrer », ou de sentiment, comme «trêve», etc.
Certains sont monocouches, offrant aux mains des surfaces (textiles, plastiques ou solides), comme «Trêve», avec ses planchettes tiède, à grain fin, délimitées par de fines lignes transversales. D’autres, à double couche, superposent les textures et construisent des formes oniriques: ainsi «Froid et lisse», où une feuille de plastique laisse sentir un entrelac de chaînettes métalliques. D’autres encore proposent des consistances, comme «Neige», dans lequel une mousse s’enfonce sous les doigts en crissant. Certains, enfin, combinent des détails géométriques pour produire la sensation d’ensemble d’un parterre: végétal (grâce à des fibres, des clous ou des ressorts), ou rocailleux (via des perles rondes ou cylindriques). La boucle est (très provisoirement) bouclée avec «Pavé», sorte de réduction de «Clopin-clopant», dont les cubes font mine de se desceller sous la main.
…Tout un art qui révèle et réveille les sens, les émotions et les imaginaires!

Le 03.04.2023, Éric Meuwes a écrit:
«Ce qui m’a impressionné chez cette artiste, c’est sa technicité, son savoir-faire, sa connaissance du toucher, fruit de ses multiples expériences et de l’avancée de sa démarche dans l’art tactile».

Consulter Le site de Marie-José Pillet.

Photographies d’illustration: Marie-José Pillet Walkphone 2023 @adagp