Caroline Pollentier, organisatrice, et Antonia Rigaud, coorganisatrice (Université Sorbonne Nouvelle), lancent la nouvelle série de séminaires du réseau «Tact (Toucher, Arts, Affects)» au printemps 2023, avec le soutien de l’équipe de recherche Prismes. Présentation.
[La principale langue de travail de ces rencontres est l’anglais. Nous proposons d’abord une traduction française, puis la version originale de cette annonce.]

 

Une sculpture de rue. Sur un rebord de muret en pleine ville, un bronze représentant un jeune garçon - taille réelle - lisant un immense livre ouvert devant lui. Il est appuyé le buste sur l'intérieur du livre, les pages de gauche épousent les angles du muret, tandis que les pages de droites sont maintenues ouvertes - à la manière d'un journal - par le garçon.

 

Suite au colloque inaugural «Être touché: perspectives transdisciplinaires» organisé en 2021 dans le cadre du réseau « TACT: Toucher, Arts, Affects », ce séminaire vise à interroger l’expérience esthétique du toucher et à explorer la diversité des affects haptiques à travers les médiums artistiques. Autour d’intervenants issus de différents domaines d’expertise, il s’agira de penser la tactilité protéiforme des arts en relation avec la technologie, la science, l’éthique, la politique et la vie quotidienne.
Longtemps considéré comme un sens mineur, le toucher est désormais conçu comme le «sens premier» (selon Fulkerson), qui définit l’intersubjectivité depuis la formation embryonnaire jusqu’aux interactions sociales. L’hypothèse directrice de ce séminaire est que le toucher constitue une dimension primordiale de l’expérience esthétique et ne peut, à ce titre, pas être réduit au langage de l’affect. Lorsque des textes, des films, des chorégraphies ou des performances nous touchent, comment mobilisent-ils le sens haptique, et ce, même quand ils ne mettent apparemment pas en oeuvre de contact physique? Le concept psychanalytique de moi-peau, théorisé par Didier Anzieu à la suite des premiers travaux de Freud sur les «barrières de contact», a réévalué l’épiderme comme une frontière affective fondatrice. La découverte récente des fibres C-tactiles en neurobiologie a par la suite renouvelé la compréhension du «toucher affectif» (selon McGlone) en tant que catégorie physiologique distincte du toucher discriminant. En regard de la science du toucher affectif, ce séminaire propose de défendre la capacité des arts et des humanités à consigner les affects du toucher, à retracer ses généalogies et ses formes «nomades» (selon Anzieu), ou encore à imaginer des futurs haptiques.
La singularité du sens tactile réside dans sa réflexivité – le sujet qui touche est touché (selon Husserl et Merleau-Ponty). En dégageant l’éthique et la politique de ce chiasme, ce séminaire mettra au premier plan la capacité de l’esthétique haptique à remodeler la relationalité. Depuis l’utopique Manifeste du tactilisme de Marinetti jusqu’aux collages tactiles de Jan Vankmajer, depuis le façonnage transgenre du «fait main» de Vaccaro jusqu’aux «archéologies digitales» de Strauven, depuis la «motricité partagée» en Contact improvisation (selon Bigé) jusqu’au médium incarné de la performance, le toucher produit des communautés sensorielles. Cependant, le toucher matérialise aussi des formes aiguës de vulnérabilité –«l’haptique des sous-communs» (selon Moten et Harney). Tandis qu’à la suite d’Elias Canetti, Roberto Esposito inscrit le tactile dans les processus biopolitiques d’immunisation, Michael Mader détecte la précarité du vivant dans les surfaces végétales. L’haptique révèle des fragilités partagées et incarne des formes d’exclusion, alors même qu’il crée des modalités concrètes de soin (selon Puig de la Bellacasa).
Cette première série de séminaires se concentrera sur la littérature romantique et contemporaine, sur la philosophie et sur la sculpture, mettant en jeu, entre absence et présence, de multiples «sens du toucher» (selon Paterson). Quand bien même l’haptique littéraire (selon Bolens et Goh) diffère du contact sculptural, les textes comme les sculptures déplacent des hiérarchies sensorielles. En parcourant différentes figures artistiques du «touchable-intouchable» tel que l’a théorisé Jacques Derrida à la suite de Jean-Luc Nancy, nous ouvrirons l’esthétique tactile au dissensus -entre l’optique et l’haptique, entre le corporel et le virtuel, entre l’agentivité et la passivité, entre la colonialité et la décolonialité, entre le validisme et le handicap. À l’ère économique et technologiique de l’«excarnation» (selon Keearney), en quoi les arts et les humanités peuvent-ils nous rappeler à notre propre peau?

Coordonnées

Maison de la recherche
Salle du conseil et sur Googlemeet
5, rue des Irlandais, Paris 5ème

Agenda

9 février 2023 (17h-19h)

Conférencière invitée: Sophie Laniel-Musitelli (Lille):
“Feeling one’s Way towards Expanded Modes of Vision: The Poetics of Contact in Romantic Literature”
Discutant: Carle Bonafous-Murat (Sorbonne Nouvelle)

9 mars 2023 (17h-19h)

Conférencier invité: Mirt Komel (Ljubljana):
“Certain Haptolinguistic Aspects of Jean-Luc Nancy’s Philosophy of the CorpoReal Body”
Discutante: Marie Chabbert (Cambridge)

20 avril 2023 (17h-19h)

Conférencier invité: Kenneth Wilder (University of the Arts, London):
“Blindness and the Role of Touch in Contemporary Sculpture”
Discutante: Charlotte Gould (Paris Ouest)

8 juin 2023 (17h-19h)

Conférencière invitée: Liliane Campos (Sorbonne Nouvelle):
“Grasping Extinction: The Natural History Museum as Haptic Space in the Work of Gillian Clarke, Jane Robinson and Kathleen Jamie”
Discutant: Thomas Dutoit (Lille)

Références bibliographiques

ANZIEU, Didier, The Skin-Ego, 1985, trans. Naomi Segal (London: Carnac, 2016).
ANZIEU, Didier, L’Épiderme nomade et la peau psychique (Paris: Apsygée, 1990).
BIGÉ, Emma, “Sentir et se mouvoir ensemble. Micro-politiques du contact improvisation”, Recherches en danse [online] 4, 2015.
BOLENS, Guillemette, “L’Haptique en art et en littérature : Ovide, Proust et Antonello de Messine”, Le Toucher : prospections médicales, artistiques et littéraires, ed. Maria de Jesus Cabral, José Domingues de Almeida et Gérard Danou (Paris: Le Manuscrit, 2019), 25-37.
ESPOSITO, Roberto, Communitas: The Origin and Destiny of Community, trans. Timothy Campbell (Stanford: Stanford UP, 2010).
DERRIDA, Jacques, Le Toucher, Jean-Luc Nancy (Paris: Galilée, 2000).
FREUD, Sigmund, “Project for a Scientific Psychology”, The Origins of Psychoanalysis: Letters, Drafts and Notes to Wilhelm Fliess 1887-1902, ed. M. Bonaparte et al. (New York: Basic Books, 1954), 347-445.
FULKERSON Matthew, The First Sense. A Philosophical Study of Human Touch (Cambridge, MA: MIT P, 2014).
GOH, Irving, “Introducing Touching Literature: Anthony Doerr’s All the Light We Cannot See”, New Centennial Review 19.3 (2019): 241-64.
HUSSERL, Edmund, Recherches phénoménologiques pour la constitution, Idées directrices 2 (Paris: PUF, 1982)
KEARNEY, Richard, Touch. Recovering Our Most Vital Sense (New York: Columbia UP, 2021), 113-32.
MARDER, Michael, Plant-Thinking: A Philosophy of Vegetal Life (New York: Columbia UP, 2013).
MARINETTI, F. T., “Manifesto of Tactilism” (1924), Futurism: An Anthology, ed. Lawrence Rainey, Christine Poggi, and Laura Wittman (New Haven: Yale UP, 2009), 264-69.
McGLONE, Francis, et al, “Discriminative and affective touch: sensing and feeling”, Neuron 82.4 (2014): 737-55.
MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l’invisible (Paris: Gallimard, 1964), 172-204.
MOTEN, Fred, and Stephano HARNEY, The Undercommons. Fugitive Planning and Black Study (Wivenhoe: Minor Compositions, 2013).
NANCY, Jean-Luc, Corpus (Paris: Métailié, 2006).
PATERSON, Mark, The Senses of Touch: Haptics, Affects, and Technologies (Oxford: Berg, 2007).
PUIG DE LA BELLACASA, María, “Touching Visions”, Matters of Care. Speculative Ethics in More Than Human Worlds (Minneapolis, U of Minnesota P, 2017), 95-122.
STRAUVEN, Wanda, Touchscreen Archælogies: Tracing Histories of Hands-On Media Practices (Lüneburg: Meson P, 2021).
VANKMAJER, Jan, Touching and Imagining, An Introduction to Tactile Art (London, I. B. Tauris, 2014).
VACCARO, Jeanne, “Handmade”, Transgender Studies Quarterly 1-2 (2014): 96-97.

Contact: caroline.pollentier@sorbonne-nouvelle.fr; antonia.rigaud@sorbonne-nouvelle.fr

Présentation originale en anglais

Following the inaugural conference “Touched: Transdisciplinary Perspectives” (2021), the TACT network (Touch, Arts, Affects) is launching an interdisciplinary seminar series in Spring 2023. The goal of this seminar is to interrogate the experience of touch in works of art and to explore the diversity of haptic affects across artistic media. With speakers from various areas of expertise, we intend to discuss the elusive tactility of the arts in relation to technology, science, ethics, politics, and everyday life.
Though long considered as a minor sense, touch is now reclaimed as the “first sense” (Fulkerson) which defines intersubjectivity from embryonic formation to social interactions. The main hypothesis of this seminar is that touch constitutes a primordial dimension of aesthetic experience and cannot, as such, be reduced to the language of affect. When texts, films, dances or performances touch us, how do they mobilise and mediate haptics—even when there is apparently no actual contact? Didier Anzieu’s psychoanalytical concept of the skin-ego, theorised after Freud’s early work on “contact barriers,” revalued the epidermis as a founding affective boundary. The recent discovery of C-tactile afferents in neurobiology has subsequently renewed the understanding of “affective touch” (McGlone), now conceived of as a physiological category distinct from discriminative touch. In dialogue, but also in contradistinction with the science of affective touch, this seminar will defend the ability of the arts and the humanities to register the affects of touch, to retrace their genealogies and “nomadic” forms (Anzieu), and to imagine haptic futures.
The singularity of the tactile sense lies in its reflexivity—one is touched when one touches (Husserl, Merleau-Ponty). Focusing on the ethics and politics of this chiasm, this seminar will foreground the ability of haptic aesthetics to disrupt and remodel relationality. From Marinetti’s utopian “Manifesto of Tactilism” to Jan Švankmajer’s tactile collages, from the transgender craft of “the handmade” (Vaccaro) to “touchscreen archælogies” (Strauven), from the “shared motricity” of contact improvisation (Bigé) to the body-centered medium of performance, touch produces communal sensorialities. However, touch also materialises acute forms of vulnerability—“hapticality, the touch of the undercommons” (Moten and Harney). While Roberto Esposito, following Elias Canetti, inscribes the tactile in biopolitical processes of immunisation, Michael Marder, focusing on vegetal surfaces, points out the precariousness of the living. Haptics alerts us to shared conditions of exposure and embodied forms of exclusion, even as it opens up concrete modalities of care (Puig de la Bellacasa).
This first seminar series will centre on romantic and contemporary literature, philosophy, and sculpture. As such, it will engage with multiple “senses of touch” (Paterson) as well as with varying degrees of haptic presence and absence across media. While literary haptics (Bolens, Goh) differs from sculptural contact, both texts and sculptures can displace sensorial hierarchies. By exploring the artistic shapes of the “touchable-untouchable,” as theorised by Jacques Derrida in the wake of Jean-Luc Nancy, we intend to place touch at the core of aesthetic dissensus—between optics and haptics, between the bodily and the virtual, between agency and passivity, between coloniality and decoloniality, between ableism and disability. In our economic and technological “age of excarnation” (Kearney), what can the arts and the humanities remind us about our own skins?

Contact: caroline.pollentier@sorbonne-nouvelle.fr; antonia.rigaud@sorbonne-nouvelle.fr

Photographie d’illustration: Couleur pour Pixabay.com