Né à Paris le 06.11.1955, il s’enracine dès l’âge de 2 ans à Toulouse, où il se voue, entre autres, à l’enseignement, à la montagne et à l’aviation. Hommage à un pédagogue hors pair, bricoleur de génie, sportif éclectique; homme d’aile, de plume et de radio… décédé le 06.04.2022.

 

Portrait de Patrice en plein vol, de profil, casquette, combinaison d'aviateur et casque sur un fond de ciel bleu et de champs cultivés.

 

Membre actif du conseil d’Administration de l’AFONT depuis son origine en 2017, Patrice avait l’engagement collectif chevillé au corps, de sa commune de Castanet-Tolosan jusqu’aux routes célestes de l’Aéropostale, en passant par l’édition adaptée et la muséographie tangible. Pour mieux comprendre notre brève évocation de cette vie à tire-d’aile, il faut savoir que sa vision oscillait entre un dixième et un vingtième selon les conditions lumineuses.

Haptophile et touche-à-tout

Son interview à Panda-guide.fr (2018) nous apprend que, bachelier option mathématiques, Patrice Radiguet a fait un master de psychologie et passé le brevet d’animateur (BAFA), auxquels le portrait que lui consacre Georges Grard (2017) ajoute le diplôme d’initiateur spéléologue. C’est ainsi qu’il a, entre autres, encadré une cinquantaine de stages de formation des CEMEA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) et que, dans les années 1990, tous les spéléologues débutants de Haute-Garonne «passaient entre [s]es mains durant leur formation en cavités ou sur falaises». Dans le même temps, il pratiquait l’escalade, le canoë, le vélo tout-terrain… Son secret? Toujours travailler en équipe avec des personnes voyantes pour assurer la sécurité car, disait-il, «j’aime trop la vie pour la risquer bêtement!»
Formé en acupuncture et en ostéopathie, mais ne pouvant pas les exercer comme telles, il fut aussi guérisseur. Sa profession officielle a été «maître de braille» mais, selon ses propres mots, il «dévia très vite de l’enseignement proprement dit du braille pour [s]’intéresser à la valorisation et à l’éducation du toucher dans le cadre de [s]on poste d’enseignant. C’est à ce titre qu’en janvier 1990, [il] fonda la «tactilothèque». En plus de l’enseignement, cette structure avait pour but l’adaptation tactile d’objets et de concepts pédagogiques ou éducatifs à l’adresse d’enfants et d’adolescents handicapés de la vue: l’éducation du toucher». Sa passion pour l’adaptation va faire merveille dans la plus grande aventure de sa vie: voler sans voir.

Plus de six cents heures de vol accompagné au compteur

Voici comment Patrice raconte le début de cette passion à Georges Grard. En 1982, il visite un aérodrome avec sa classe et sympathise avec Yvon, qui désire devenir instructeur. «Lors d’un des vols du jour, j’explore l’avion avec mes mains et il me dit: “Tu tiens le manche! Garde-le!” C’était un rêve qui se concrétisait… Comme [Yvon] devait, dans le cadre de son instruction, faire de nombreuses heures de vol, je les ai partagées avec lui». S’en sont suivies quarante années d’expériences et de recherches collectives ponctuées d’une série d’innovations techniques tout à fait originales que la quatrième de couverture de son livre résume en ces termes: «ainsi de la méthode de guidage vocal qui permet, en utilisant un langage codé, de donner des informations précises et détaillées indispensables au pilotage. Ainsi de l’adaptation de la cartographie aéronautique retranscrite en caractères agrandis, en braille et en relief. Ainsi du “Soundflyer”, dispositif sonore qui retraduit l’assiette de navigation en sons aigus ou graves retransmis grâce à un casque stéréophonique, en privilégiant l’oreille droite ou gauche, selon le virage amorcé».
Il existait déjà une Amicale des Pilotes Aveugles de France, mais elle fut dissoute en 1999 et, la même année, l’Association Européenne des Pilotes Handicapés Visuels, bientôt connue sous le nom des Mirauds Volants, prit la relève, avec Patrice aux commandes. En 23 ans, elle a formé près de deux cents pilotes et en fait voler une quarantaine chaque année. En 2015, quatre d’entre eux ont réussi le brevet de pilote privé, et leur président a reçu, le 16 janvier 2017, la médaille de l’Aéronautique, plus haute distinction dans le domaine. L’année suivante, il remettait en vol un avion de 1957, qu’il avait démonté et restauré avec sa compagne Chantal Rialin et quatre amis. Car il savait aussi percer, forer, couper-coller…
En 2020, Patrice expliquait à 20 minutes magazine: «notre choix a été d’équiper le pilote [déficient visuel] sans toucher aux avions, ce qui bloque l’accès aux infos propres à l’appareil, comme les niveaux de carburant. Mais tout le reste, on peut le faire». Certes, par sécurité, il n’est pas question de déroger au pilotage accompagné; mais, comme il l’affirmait à panda-guide.fr, «ce qui me plaît, c’est de piloter et non de me laisser guider du sol comme un paquet. Et puis, partager un vol avec un ami ou un compagnon (pilote breveté ou instructeur) est un grand plaisir. […] par la force des choses, nous travaillons en équipage, et c’est une très belle aventure».
Il précisait à Yanous.com, en 2001: «c’est l’occasion unique de se retrouver aux commandes d’une machine qui évolue dans les trois dimensions et que nous pouvons mener, quasiment seuls, d’un point à un autre. À la surface de notre planète, cela serait impensable […] Dans le ciel, nous naviguons sur les mêmes routes que les autres pilotes, et avec les mêmes machines. Lorsque nous revendiquons le terme de “pilotes à part entière” pour les membres de notre association, […] nous disons simplement que nous pouvons être membres à part entière d’un équipage, en étant pleinement acteurs dans le partage d’une charge de travail à bord, et en comprenant à tout moment ce qui se passe et pourquoi on le fait».

«Développer l’éducation du toucher comme une discipline à part entière»

Patrice Radiguet insistait sur ce point dans son interview à Panda-guide.fr: «ce qui est important est que [l]es personnes [déficientes visuelles] n’appréhendent plus de découvrir le monde qui les entoure avec leurs doigts. Cette affirmation, je le sais, peut paraître aberrante puisque, dans la croyance populaire, lorsqu’on ne voit pas, on touche, c’est évident!… Sauf que dans la “vraie vie”, ça ne marche pas tout à fait comme ça. Lorsque j’étais enseignant, je me suis très vite aperçu que les enfants et adolescents qui m’étaient confiés avaient beaucoup de mal à découvrir leur environnement avec leurs doigts. Et lorsqu’on y réfléchit un peu, c’est assez normal. En effet, si je ne sais pas vers quoi je vais, je peux craindre d’exposer la pulpe de mes doigts à un inconnu: peut-être agressif, brûlant, visqueux, etc. C’est pourquoi, durant la dernière partie de ma fonction enseignante, je m’étais attaché à développer l’éducation du toucher comme une discipline à part entière».
[insérer un paragraphe sur les objets à toucher]
Pour cette lucidité et ce partage inlassables, merci, Patrice!

Témoignage de sa collègue Marie-Renée Hector

J’enseignais le braille à l’INJA (Institut National des Jeunes Aveugles) et travaillais également au service de transcription braille de l’époque, soit en 1988 ; je faisais aussi des vacations d’anglais quand l’établissement en avait besoin. J’étais entrée au GPEAA (Groupement des professeurs et éducateurs d’aveugles et d’amblyopes) parce que le censeur, M. Serge Guillemet, m’y avait fortement poussée.
C’est cette année-là que, lors de journées pédagogiques, je fis la connaissance de cet homme incroyablement brillant et volontaire qu’a été Patrice. Si sa formation en psychologie lui a servi à quelque chose, ce fut à savoir être à l’écoute des autres et à essayer de leur faire prendre conscience de leurs aptitudes, à les mettre en valeur. Autour de lui, beaucoup le prenaient souvent pour un utopiste, parce qu’il repoussait toujours les limites du possible, dans sa vie personnelle autant que professionnelle.
Au GPEAA, j’ai découvert son courage, sa tolérance et son ouverture aux autres. Nous partagions la passion de l’enseignement. Le braille et sa pratique, le respect de l’autonomie de chacun, c’était ce qu’il nous fallait défendre à tout prix, dans l’intérêt de celles et ceux pour qui le toucher est indispensable à l’éducation et à l’épanouissement. Rapidement, nous avons été liés par une indéfectible amitié et nous avons souvent rédigé des conclusions de journées pédagogiques ensemble. Nous échangions nos vues sur nos propres articles lorsque nous étions intervenants. À Lestrade où il enseignait, il avait créé une petite bibliothèque qu’il avait baptisée «la tactilothèque» et il en a gardé l’idée par la suite en créant les documents tactiles des Mirauds Volants.
Il y eut, en 1992, ce magnifique congrès baptisé Le Tour d’y voir, des week-ends et des vacances avec nos familles. Patrice a appris à mes enfants à grimper le long des murs dans le couloir de notre appartement! Ils ne l’oublièrent jamais…
Patrice était inventif et, de ce fait, était sans cesse en recherche d’une innovation, quelle que soit l’activité du moment: escalade, plongée sous-marine, travail du son, bricolage (il avait gardé l’atelier de son père près de la maison où vivait sa mère, quand je l’ai connue). Mais il était aussi formé en acupuncture et en ostéopathie. Il exploitait remarquablement ses possibilités visuelles, auditives et tactiles. Il m’a un jour soignée par acupuncture. Il avait transcrit en braille, à la main, un grand nombre de fascicules d’acupuncture et d’ostéopathie, qui tapissaient les murs d’une pièce; il m’arrivait, lorsque je lui rendais visite, d’en parcourir quelques pages.
Un jour, il m’emmena voler dans un avion de quatre places. De mon côté, je faisais un peu de voile et je comprenais sa passion; pourtant, trouvant l’avion trop bruyant, je n’adhérais pas vraiment. Mais j’étais heureuse de l’aider quand je le pouvais. C’est ainsi que je traduisais en anglais les courriers ou les documents des Mirauds Volants quand il me le demandait. Lorsque Patrice s’est occupé à plein temps du développement de l’association et de la formation des pilotes déficients visuels, allant jusqu’à passer lui-même le premier échelon du brevet de pilotage, nous sommes toujours restés en lien, nous rencontrant lorsqu’il avait le temps, mais échangeant surtout par de longues conversations téléphoniques.
Ces derniers temps, nous nous étions à nouveau rejoints au sein de l’AFONT. J’aurais aimé, une dernière fois, pouvoir le remercier de m’avoir tant donné, d’avoir tant donné autour de lui. Mais tout ce que je peux écrire ne traduira jamais la lumineuse amitié qui fut la nôtre, à travers les moments de joie comme de tristesse.

Références

Radiguet, Patrice, 2004, Un miraud aux commandes: mon tour ULM 2003 (à compte d’auteur).
Radiguet, Patrice, 2012, Mirauds d’accord, mais pilotes d’abord!, Nogent-sur-Marne, Volez éditions (282 pages, 21 €).
20 Minutes, 2020, «Les malvoyants tiennent le manche», supplément magazine à 20 minutes, novembre 2020.
Grard, Georges, 2017, «Patrice Radiguet, des profondeurs au firmament: un fou “Miraud Volant”!», L’Handispensable 12, 2ème trimestre 2017.
Panda-guide, 2018, «Patrice Radiguet, fondateur de l’association Les Mirauds volants», panda-guide.fr, 03.04.2018.
Yanous, 2001, «Et pourtant ils volent!», yanous.com, 12.10.2001.

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Georges Grard
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Photographie d’illustration: Les Mirauds Volants.