Interviewée par Cécile Bouanchaud dans Le Monde du 15.02.2022, Fabienne Martin-Juchat analyse ce qu’est devenu le rapport au contact corporel depuis la préconisation des gestes barrières. Voici les lignes de force de cet article qui reste sous droits.

 

Deux personnes entrelacent leurs jambes et leurs mains autour d'un feu de camp en forêt.

 

Cette professeure en sciences de l’information et de la communication (université Grenoble Alpes) est l’autrice de L’Aventure du corps. La communication corporelle, une voie vers l’émancipation (Presses universitaires de Grenoble, 2020). À l’occasion du deuxième anniversaire du premier confinement contre le corona virus, elle commence par rappeler les fondements de «l’aspect vital de ce sens». D’un côté, «c’est un domaine qui échappe à la conscience mentale». De l’autre, «Toutes les civilisations ont développé des rites sociaux qui cadrent le toucher dans le but d’éviter tout sentiment d’agression». En même temps, «il est le socle de l’empathie».
On retrouve ces paradoxes dans l’histoire des mœurs contemporaines. D’une part, «la diffusion d’une “liberté du toucher” est récente. […] La baisse de la crainte des maladies, associée à une culture post-Mai 68 favorisant l’expression corporelle, nous a permis d’expérimenter toute une richesse d’expériences sensorielles». Mais, d’autre part, nous vivions déjà dans une «société de contrôle», selon un «rapport au monde basé sur la normalisation, l’utilité, la planification, le rationnel». La tactilité constituait donc une sorte de soupape de sécurité, car «l’expérience du toucher implique une forme d’abandon et de surprise […] quand on touche ou qu’on est touché, on bascule dans un autre régime, celui de la spontanéité»:».
La chercheuse souligne la rupture introduite par la pandémie. Au niveau individuel, «qu’un État impose des “règles de toucher” si contraignantes, en particulier dans l’espace privé, constitue une première. Si bien qu’il faut s’inscrire dans une sorte de transgression pour maintenir des espaces de sociabilité autorisant l’imprévu». Au niveau collectif, «des changements, que j’espère non pérennes, sont déjà à l’œuvre: les lieux de rencontres comme les cinémas, les théâtres, les restaurants affichent une baisse de fréquentation».
Elle pointe clairement les risques qui nous guettent: «le toucher est lié à la vie, il donne un sens à l’existence, le manque de contact corporel et son contrôle peuvent donc provoquer une montée d’angoisse et une surfatigue. Il y a aussi une forme de tristesse à vivre dans une société sans contact, où l’autre est perçu comme un risque, sujet à nous rendre malade. Cela peut provoquer des angoisses sociales et des phobies».
Nous insisterons sur sa conclusion: «ce qui est sûr, c’est que moins on vit l’expérience du toucher, plus on a peur de la vivre, car elle nécessite de prendre le risque de la relation». (Lire nos articles Un virus peut en cacher un autre, Ne pas (re)diaboliser le toucher, Les contresens de la pandémie et Bon sens tactile en temps de pandémie).
Lire l’entretien intégral sur lemonde.fr.

Photographie d’illustration: Artem_Apukhtin pour Pixabay.com